Pontremoli – Briançon écrit par Pascale
Lundi 12 juillet 2010 – 35° giorno
Pontremoli – Passo Borgatto – 20 km – carte
Cette étape commence par une messe, célébrée dans l’église saint Colomban ; nous allons marcher jusqu’en France, nous savons que la route est longue, qu’il y a des montagnes à franchir, qu’il fait très chaud, et pour ma part que j’ai une tendinite. Je ne suis pas sûre d’y arriver, mais Inch Allah! Adviendra ce qui devra advenir. Emmanuel, Desirè, Mirella et moi confions cette « aventure » à Dieu, notre pèlerinage et nos pieds à saint Michel. Pendant la messe Emmanuel nous annonce qu’aujourd’hui ça fait 21 ans qu’il est prêtre! Pour fêter ça il nous offre un cappuccino sur la place de la ville. À la terrasse du bar, baignée de soleil, nous nous répartissons les tâches que nous nommons « ministères » : Mirella est la ministre de l’économie ; elle s’occupera de la caisse commune et des achats. Desirè ministre de la communication ; elle distribuera la carte de visite du site à ceux qui sont intéressés par notre pèlerinage et notera leur adresse pour leur envoyer une carte de Briançon. Emmanuel est le ministre des transports ; il s’occupera des cartes routières et de l’itinéraire. Et moi, me voilà ministre de l’environnement ; je ramasserai les poubelles et choisirai le lieu du piquenique et de la sieste. Une fois la chose réglée, il n’y a plus qu’à faire les ultimes préparatifs : ajuster le sac que nous portons en bandoulière, chercher la mairie pour timbrer nos crédentiales, acheter de quoi manger. Pendant que nous trouons les lanières trop longues de nos sacs, Desirè entre en conversation avec deux personnes rencontrées sur la place, elle nous fait signe de les rejoindre.
Antonio, journaliste, et Caterina responsable municipale de la culture, sont très intéressés par notre démarche. Antonio nous bombarde de questions, prend des notes et nous conseille de demander à la mairie, pour nos crédentiales, le tampon du labyrinthe que l’on peut voir dans une église à l’entrée de Pontremoli. Nous voilà partis! Cette fois-ci, l’itinéraire est déjà tracé ; grâce à notre site internet, des amis de saint Colomban sont entrés en contact avec Manou pour lui conseiller de prendre « la route des abbayes » (« via degli abati »): chemins ombragés, balisés, pas trop goudronnés, traversant les Apennins de Pontremoli à Bobbio. http://www.valtrebbiaonline.it/abati.htm L’aubaine! Nous gravissons la montagne empruntant un beau chemin en terre qui épouse les courbes du relief et traverse une forêt de châtaigniers dont certains sont vraiment très anciens. Leurs fleurs embaument l’air. Nous nous arrêtons au pra del prete (le pré du prêtre) pour déjeuner à l’ombre à côté d’une source. Le temps se couvre et devient orageux. On se presse pour arriver à Cervara, petit village de montagne aux rudes maisons de pierre souvent abandonnées. On arrive dans l’unique bar. Sous la tonnelle, des enfants jouent au cartes, certains parlent très bien français. Nous discutons avec Pietro et Virginia, nés au village il y a plus de 70 ans. Ils nous racontent la vie pauvre et dure de leur enfance, la froidure de l’hiver et aussi les bons moments ; comment par exemple, les garçons pouvaient s’approcher des filles, en les aidant à verser l’eau bouillante sur le linge les jour de lessive. La plupart ont émigré en Suisse ou en France. Le cabaretier, âgé d’une soixantaine d’année nous dit que 900 personnes habitaient Cervara quand il était petit, aujourd’hui ils ne sont plus que 50, très âgés pour la plupart. Il nous confie en soupirant qu’il est las de voir mourir les gens.
L’orage étant passé ailleurs, nous reprenons la route. Nous longeons le jardin d’un homme qui parle le français. Il est fils d’émigrés, à cheval entre deux cultures. Très attaché à la terre de ses parents il constate que ses enfants s’en éloignent. Plus haut dans la montagne la forêt s’ouvre sur le lago verde niché dans un vallon bordé d’arbres. Le soleil du soir illumine la couleur émeraude de l’eau où les poissons passent tranquillement le long des rives. Une famille ramasse du bois pour faire un grand feu. Ils ont monté une tente pour la nuit. Tout est calme. Nous savourons cette paix les pieds dans l’eau et repartons. Nous décidons de nous laver dans la cascade de la valle del verde plus loin dans la forêt. Maillots de bain enfilés nous grimpons jusqu’à la chute d’eau. Elle est inaccessible. Nous nous baignons donc dans l’eau fraîche et tourbillonnante du torrent.
Nous continuons de grimper sous les châtaigniers. De nombreuses ruines éparpillées le long de la route témoignent d’une vie rurale désormais révolue. Un couple habitant une maison isolée nous propose de l’eau. Ils nous demandent ce qu’on fait là. Desirè, selon son ministère, leur explique. La femme émue nous invite pour une pastachuta à Carrare où ils habitent, ce soir ils doivent partir.
Gravissant la montagne, le chemin sort de la forêt traverse des pâtures et arrive au col : le passo Borgalo. Là, la vue est superbe ; la plaine s’étend au delà des landes, aux pieds des montagnes. L’orage a laissé des lambeaux de brume accrochés aux arbres que le vent disperse. Un grand monument en béton est élevé en hommage aux résistants morts pendant la guerre. Parmi les prénoms on lit « Michel ». Emmanuel trouve que c’est de bon augure pour dormir là. Il fait assez froid avec le vent et la brume à plus de 1000 mètres d’altitude, et les nuages d’orage ne sont pas loin. Je suis un peu inquiète; et s’il pleuvait cette nuit? Mais les autres sont très confiants, et j’ai repéré une grange pas trop loin. Une fois couchés, les étoiles apparaissent et la lune monte. Mirella qui n’a pas sommeil du tout, parle de la lune, mais nous, ensommeillés, nous lui répondons mollement.
Mardi 13 juillet 2010 – 36° giorno
Passo Borgatto – Stabio – 27 km – carte
Finalement la nuit a été bonne. Nous nous levons en forme, faisons nos sacs et partons d’un pas assurés vers le bar qui nous permettra de boire un bon café chaud. En attendant, nous marchons sur un petit sentier qui serpente sur la ligne de crête, parmi les buissons où des lambeaux de nuage s’effilochent. Nous trouvons des fraises sauvages, des myrtilles et des framboises ; un avant goût de petit déjeuner. Nous pénétrons dans une belle forêt où nous croisons des ramasseurs de champignons. La région est particulièrement réputée pour les cèpes qui se vendent séchés. Emmanuel reçoit un coup de téléphone de Giovanni Magistretti, ami de saint Colomban et défenseur de la « via degli abati ». Il veut savoir si tout va bien. Désormais, tous les jours il nous téléphonera veillant sur nous tel un ange gardien. Au petit village de san Vicenso nous cherchons plein d’espoir le bar salutaire et nous trouvons Bruna, énergique retraitée, qui étend son linge sur la place. Pas de bar ici! Devant notre mine dépitée elle nous propose un rafraîchissement de sa fabrication et nous installe sous la treille devant sa maison. Elle sort son livre d’or, raconte sa famille et sa peine d’être veuve depuis peu. Mirella qui traverse la même épreuve la comprend bien. Elle nous offre des sous-verres en tissus fabriqués par ses petits enfants, puis nous accompagne vers le cimetière.
Un ancien chemin, descend à mi pente sous la ramure. Nous voilà enfin dans la vallée à Borgotaro, ou Borgo val Taro. C’est une jolie ville construite le long d’une large rivière. Dans la rue principale, commerçante et animée, on admire un palais à la façade sculptée. On achète de quoi manger, notamment du jambon de pays ; le jambon de Parme. Et on s’offre enfin ce bon cappuccino.
Nous voilà repartis. Il faut remonter : c’est toujours comme ça après avoir traversé une rivière! Nous hésitons sur la direction à prendre et demandons conseil au secours populaire local. Ils connaissent bien cette route qu’on appelle aussi « the abbot way. » Ça fait 3 ans que des coureurs pratiquant l’ultra trail viennent ici. Ils mettent de 24 h. pour faire Pontremoli Bobbio. Le plus âgé, un gamin de 86 ans, a mis 48h ! Il nous faudra 5 jours pour y arriver! Ils sont 300 à débouler à toute allure dans les montagnes et leur passage est salué par tous les habitants. Cette course a fait connaitre la route de saint Colomban. http://www.theabbotsway.com/index.html
La route longe la rivière. Bien vite elle se transforme en une côte extrêmement raide que nous gravissons soufflant et suant sous le soleil au zénith. Puis c’est un petit sentier tracé sur de vieux murs branlants ou envahis de mauvaises herbes. Notre pas est lourd, mais on avance.
On continue à monter sur une pente plus douce. Le chemin sous les arbres est large et plein de flaques. L’orage d’hier a dû se déchainer ici! Nous cherchons un point d’eau pour la pause pique nique. Nous trouvons une maison sans habitant avec un robinet et de l’ombre. Nous déjeunons et pendant que les italiens font la sieste je fais ma lessive. Nous entrons dans la forêt et marchons sur la ligne des crêtes. Nous décidons de quitter la via degli abate pour passer par le lago buono, décevant petit lac maronnasse. Nous continuons vers ce qui nous semble être la bonne direction. Il y a de beaux chemins partout et plein de balises qui inspirent confiance. Nos cartes données par les amis de saint Colomban sont assez imprécises mais la forêt est belle. Toujours sur la crête, la route descend en douceur. Deux chevaux en liberté nous suivent de loin à travers les arbres. Nous descendons vers la vallée par un large chemin qui se termine en cul de sac dans une zone humide pleine de moustiques. Coupant à travers bois nous arrivons sur une hauteur. On décide de dormir dans la clairière.
Pendant qu’on installe notre campement Emmanuel cherche un passage pour la descente de demain. Il trouve un vieux chemin qui fera l’affaire. Le soleil couchant illumine la vallée qui me semble si lointaine, puis c’est la nuit dans la foret. Couchés sur un lit de feuilles mortes nous sommes bien installés malgré les moustiques.
Le vent se lève ; les arbres bougent, les branches s’entrechoquent. Je n’en mène pas large, j’ai peur qu’une branche morte me tombe dessus et j’appréhende la descente de demain : les flancs de la montagnes étant tapissés de falaises abruptes que la forêt dissimule.
Les étoiles scintillent au dessus de la sombre ramure, au dessous comme en écho, de lumineuses lucioles virevoltent.
Mercredi 14 juillet 2010
37° giorno Stabio – Groppallo – 30 km – carte
Dès l’aube, les revoilà ces moustiques suceurs de sang! Desirè a un énorme bouton sur le front. Elle fait une grosse réaction et affirme non sans humour qu’elle est une personne très délicate! Grâce aux granules homéopathiques « apis melificat » son front reprend une allure correcte.
On s’engage dans le vieux chemin, on passe devant la ruine d’une maison, preuve qu’autrefois des gens vivaient là. Mais plus loin on débouche sur la crête d’une falaise. C’est une longue plaque de cailloux friables sur laquelle on marche sans trop d’appréhension. On suit ce qui pourrait être un sentier tracé par des animaux. On descend par paliers. On se retrouve devant la ruine d’une vieille tour de garde, fortification d’un autre âge que nous avons la chance de découvrir et où personne ne va plus, faute de route. Tout autour poussent des œillets sauvages. C’est très romantique mais ça ne nous donne pas la solution pour sortir d’ici, d’autant plus que plus loin la falaise tombe à pic dans une gorge!
Je remarque des troncs coupés, plus bas. Si les bucherons viennent travailler là, il doit bien y avoir un moyen d’y accéder! On dévale la pente en s’agrippant aux arbres jusqu’aux billes de bois. Là, merveille! on découvre un bon vieux chemin forestier avec un solide pont qui enjambe la gorge et nous voilà sains et saufs chez les humains!
À Stabio nous arrêtons une voiture pour demander notre route. Maria-Ana propose de nous emmener à Novelia. On ne se fait pas prier! À la terrasse du café on reprend des forces devant un solide petit déjeuner. Puis on se baigne longuement dans le torrent, ce qui achève de nous remettre d’aplomb.
Nous allons à Bardi, ville perchée sur une hauteur, dont l’imposant château domine toute la vallée. La petite route provinciale bordée de grandes fleurs jaune pâle aux tiges violettes, longe la rivière et débouche sur le Ceno. Ce fleuve de montagne coule dans un lit de galets au pied de la ville. Après un chemin muletier très raide nous savourons l’eau fraiche jaillissante d’une roche rouge. C’est fou comme l’eau est bonne quand il fait chaud! Les murailles du château prennent appui sur ce roc. Nous pénétrons dans la ville par une porte fortifiée, empruntons des rues étroites et pleine de vie. Une fois les courses faites, attablés devant un café et une part de pizza, nous discutons avec des clients du bar. Ils nous annoncent que dans la plaine il fait plus de 45°. Heureusement que nous passons par les Apennins; grâce à l’altitude il fait plus frais. Les gens sont vraiment très accueillants, bienveillants et intéressés, et les paysages magnifiques et sauvages. Après Bardi la route s’élève au fil des courbes et nous arrivons à Grezzo. Nous rafraîchissons nos « pneus » à la fontaine en plongeant nos pieds chaussés de sandalettes dans l’eau. On se mouille la tête. Mirella a trouvé une astuce pour garder la forme : elle se coiffe d’une serviette de toilette mouillée qui lui donne un style pharaonesque. Une dame descend vers l’église saint Michel. Elle a les clés! Tina nous fait entrer. Après un temps de prière : repos. Sieste pour les italiens et pour moi qui n’y arrive pas, dessin. Au hameau de Cerreto di Boccolo nous déjeunons à l’ombre des pruniers. Des voitures françaises sont garées sur la place près de la cabine téléphonique anglaise (!). Nous sommes à nouveau sur la via degli abate. Nous voulons la suivre car le macadam est propice aux ampoules. Les balises intermittentes, l’imprécision des indications de l’autochtone (automobiliste oublieux des chemins), nous entrainent dans des montées, descentes, traversées de chemins envahis de ronces, … On déclare forfait : ça sera le bitume!
Nous arrivons au col… où il y a un bar. J’avoue que j’apprécie ces pauses bar. Elles sont l’une des carottes qui me font avancer et souvent on y rencontre des gens. Ici la barman en grande conversation avec un client, parle …le français sans aucun accent. Quelle étrange région!
Le panorama est grandiose. Au loin, au pied de la montagne on remarque un gros village blottit sur un promontoire rocheux. C’est Groppallo où nous dormons ce soir. Don Gian Rico n’est pas là mais il a laissé son presbytère ouvert pour nous avec le chien pour nous accueillir.
Le soleil est moins chaud, mais la fatigue commence à peser. Desirè a les jambes en feu, couvertes de plaques de boutons. La route décrit une interminable courbe entre la montagne et une vallée très profonde. Pas après pas nous avançons. Desirè marche derrière nous. La distance se creuse. Elle nous rejoint en stop quelques kilomètres avant la ville.
À Groppallo un homme nous attend de la part du curé. Il va chercher Desirè qui n’arrive plus à avancer avec voiture. Puis nous ramène Mirella et moi, avec les courses jusqu’à l’église. Elle surplombe tout le village : énorme bâtisse du XIX, isolée sur son rocher, ouvrant sur le cimetière, encadrée de 2 énormes antennes relais. Nous traversons l’église et passons par la sacristie pour entrer dans le presbytère. Là Don Gian Rico nous a préparé une table, vin, charcuterie, fruits…sa maison est la nôtre malgré son absence. Le chien vielle dans le jardin. Il nous regarde par la fenêtre pas trop ému de nous voir là. Il faut dire que Don Gian Rico est connu pour sa très grande hospitalité et le chien le sait.
Une bonne partie de la fatigue s’en va avec la douche chaude. Nous nous retrouvons pour la messe dans l’église. Près de l’énorme autel, dans cette immense bâtisse résonnante, sombre et sentant le moisi, on se sent un peu perdus. Quelle démesure pour un si petit village et quelle laideur! De retour dans l’appartement du curé, on admire la vue prodigieuse et on se régale avec la pasta de Mirella.
On s’écroule dans des lits aux draps parfumés…
Jeudi 15 juillet 2010 – 38° giorno
Groppallo – Mareto (fontanone) – 20 km – carte
Je suis partie avec une tendinite qui trainait depuis l’étape précédente. L’avant veille du départ un ostéopathe m’avait soulagé le tendon et conseillé de prendre 3 granules homéopathiques d’arnica le matin, 3 de Ruta le soir, et de m’enduire la cheville d’une crème aux huiles essentielles (Artrogel) 2 fois par jour. Ses précieux conseils ont été très salutaires. De jour en jour ma tendinite dégonflait malgré la marche. Desirè essaye ce traitement pour se remettre tout à fait des fatigues de la veille. Au lever du jour nous descendons à travers bois jusqu’à Groppazzolo. Déjà quelques ramasseurs de champignons explorent le sol. On se perd un peu mais une promeneuse nous indique le village. Là nous demandons de l’eau à 2 femmes. Elles parlent français. Elles nous expliquent qu’une grande partie des habitants des Apennins est parti émigrer en France, il y a une ou deux générations. Ils reviennent l’été, certains avec leurs conjoints français. Je comprends mieux tous ces signes de présence française.
Nous suivons maintenant une petite route jusqu’à la ville de Farini construite le long d’une rivière claire et transparente. Nous retrouvons Mirella et Desirè à la terrasse d’un bar. Près de nous, des femmes parlent avec un fort accent. Leur conversation est bourrée de mots français.
Nous longeons la rivière aménagée en plage à la sortie de la ville, et quittons la vallée par un raide chemin muletier. Il est midi, on a chaud chaud et nos gourdes sont à sec! Dans un hameau on demande à des enfants qui jouent à cache cache, où trouver de l’eau. Ils nous parlent en italien puis en français. Dans un potager, une française parle à une italienne, Rosa. Elle puise dans sa cave une délicieuse eau fraîche. Le chemin ombragé nous porte au « moulin de la mort », antique bâtisse en cours de restauration où parmi les prêles et les vielles pierres coule une eau pure. Le torrent est tout près.
On s’accorde un repos de 3 heures. Après le repas, certains dorment sous les feuillages, bercés par le chant des cigales et de la rivière. D’autres, barbotent dans des vasques naturelles, le dos calé par les rochers, écrivent, photographient.
Il fait moins chaud. Nous gravissons la colline sous les bois et débouchons dans de grandes prairies. Cette partie des Appennins est plus riante et moins abandonnée que du côté de Cervara.
À Mareto, petit hameau plein de charme, un vieil arbre ombrage la place, entre l’église et l’auberge. Des vacanciers retraités, alignés sur des chaises prennent le frais. L’aubergiste nous confie la clé de l’église pour la messe. Une dame se joint à nous. Un jeune homme demande à Manou de le confesser. Une fois délesté de ses péchés, il nous conseille d’aller dormir à Mareto il fontanone.
Nous achetons quelques vivres à l’auberge et montons presque jusqu’au col pour trouver ce lieu de campement. À la sortie du village un couple nous questionne. La femme aimerait tant marcher comme nous. On échange nos adresse. Arrivés à Il fontanone, on se lave dans la grande fontaine d’eau glacée coulant dans un près, à la lisière de la forêt. On s’installe sous l’auvent d’une petite baraque en bois. La vue est magnifique et l’herbe épaisse confortable. On débouche une bonne bouteille de vin de pays, rouge légèrement gazeux, pour fêter cette journée et la future nuit à plus de 1000 m d’altitude.
Vendredi 16 juillet 2010 – 39° jour
Mareto (fontanone) – Bobbio – 19 km – carte
L’avantage de dormir à la belle étoile c’est qu’on se réveille aux premières lueurs de l’aube et puisqu’il fait froid et qu’on n’a rien de chaud à boire, le départ est rapide.
La route grise et pierreuse s’élève en lacets. Elle est bordée de fraises sauvages et de framboises. Elle débouche sur un plateau : la lande, des roches, et le soleil matinal qui fait chanter tout cela.
Le petit chemin qui descend du col est bourré de pierres qui roulent sous les pieds, à se demander si c’est pas un torrent à sec. Aussi, pour ne pas tomber, on regarde par terre au lieu de jouir de la vue.
Nous arrivons sur une petite route goudronnée. Elle zigzague au balcon de la montagne. Les village perchés, aux maisons serrées les unes contre les autres, me font penser à la Corse. Nous traversons l’un d’eux: des grandes fermes en pierre, des fours à pain, près des maisons, le tout passablement abandonné. Nous débouchons providentiellement à la locanda del secolo (località costiere 131. Tel 0523 934179): une grande terrasse près d’une belle maison à l’ombre des arbres, une fontaine, un four…un petit coin de paradis. Un homme nous sert un fabuleux cappuccino. Il est manchot : ancien militaire de choc, ancien motard, il a tourné dans le monde entier, jusqu’à un accident fatal où il a perdu son bras. Désormais il passe de nombreuses heures ici à aider le patron. On y confectionne du pain, des plats typiques, des viandes grillées. Le patron connait parfaitement sa montagne. C’est une figure légendaire de la région. Même si le lieu est enchanteur, nous devons repartir : le pèlerin avance sans trop s’arrêter, jusqu’à l’étape finale. La descente continue. Le chemin toujours aussi défoncé s’enfonce dans une forêt de châtaigniers. Nous allons à la grotte saint Michel qui surplombe une gorge profonde. Saint Colomban s’y retirait 40 jours avant la saint Michel pour y prier entre ciel et terre. Depuis c’est un lieu de pèlerinage pour les gens d’ici et les amis de saint Colomban.
Mario Pampanin et Giovanni Magistretti, nos « amis de saint Colomban », chaque jour nous saluent au téléphone. Ils nous attendent à Coli. Au bar près de l’auberge de jeunesse, nous faisons plus ample connaissance. Ils nous présentent Don Mateo, le curé de la paroisse étonnant de vitalité et d’enthousiasme. Dans l’église il y a une croix en pierre de style celtique, sans doute celle de saint Colomban, retrouvée intacte dans la rivière sous la grotte. Quand Don Mateo apprend que nous sommes des pèlerins sous la route de l’ange, il se met à déclamer, la voix vibrante d’émotion, un extrait de « la Jérusalem libérée » du poète Torquato Tasso dont il connait toute l’œuvre par cœur.
Mario se joint à nous pour aller jusqu’à Bobbio. Sur le chemin il nous parle de sa ville, de saint Colomban, de la via degli abbate… Il est professeur à l’université ; ses explications sont claires et passionnantes. Avec moi, il utilise un français raffiné.
Une fois dans la vallée, il nous amène à une source thermale « l’aqua salata ». Nous trempons nos jambes dans une petite piscine. Cette eau est bénéfique pour la peau, les bronches, les intestins…Bonne aubaine! Même si son goût prononcé d’œuf dur ne donne pas envie d’en abuser.
Nous nous baignons dans le Trebbia, entre les poissons et les rochers. Une fois rafraîchis, nous traversons le fleuve et son large lit de galet, par le majestueux pont médiéval et entrons dans Bobbio. Mario nous amène dans nos appartements et nous propose de visiter la ville une fois la chaleur passée. Vers 16h Bobbio est encore une fournaise mais les églises relativement fraîches. Dans le duomo nous nous recueillons sur la tombe de saint Antonio Maria Gianelli. Cet évêque, né en 1789, a mis toute son énergie à secourir et enseigner les pauvres et les malades de la montagne, en fondant l’ordre des « filles de sainte Marie du potager ».
Nous faisons des courses car ce soir nous recevons nos amis. Bobbio est une jolie ville vivante, aux boutiques pimpantes et alléchantes, qui se déploie en une circonvolution de ruelles autour du duomo jusqu’à la forteresse. La fête de saint Colomban (le 21 novembre) est déjà lancée; ce soir un concert de musique Irlandaise et la vente des billets de tombola. Je suis tombée en arrêt devant le premier prix : une C1 rouge qui remplacerait avantageusement ma vieille CX malade. Emmanuel m’offre un ticket: qui sait, peut-être serai-je l’heureuse gagnante?
L’église saint Colomban, ancienne abbaye en brique a été remaniée au XIVème. La nef ornée de fresques mène au chœur surélevé où on accède au maître autel par une série de marches. La crypte abrite le corps du saint. Nous découvrons avec admiration un grand pavement multicolore du Xème, découvert il y a quelques années sous le maître autel, à mi hauteur entre le chœur et la crypte.
Le tombeau de saint Colomban repose au centre de la crypte. Les murs sont décorés de pierres tombales celtiques. Une grille en fer forgé au XI ème sépare la chapelle de la sacristie. Nous célébrons la messe tous ensembles.
Nous rentrons bercés par la musique celtique. Une fois à la maison, nous dégustons la pasta delle pelegrini, invention de Mirella, le tout arrosé grâce au vin local amené par nos hôtes. Joyeuse soirée!
Samedi 17 juillet 2010
40° jour Bobbio – Canevino – 32 km – carte
Nous partons à 5 heures pour fuir la chaleur. Merveille! les bars sont déjà ouverts! Damiano qui nous sert, nous souhaite bonne route, bises sonores à l’appuie. Nous quittons Bobbio en montant de chemins muletiers en routes sinueuses. Une brume nous protège du soleil. Nous faisons halte à Cadelmonte, petit hameau à moitié abandonné. Les habitants, retraités curieux, viennent un à un faire cercle autour de nous. Ils nous parlent de ce village : 100 personnes il y a un demi siècle, 12 aujourd’hui. Une femme me propose d’acheter la belle bâtisse devant laquelle nous discutons. Ils nous offrent du vin et nous, une future carte postale de Briançon. Nous pénétrons dans la foret où d’énormes rochers se profilent derrière les arbres. Nous gravissons notre cinquième et dernier col depuis Pontremoli. Le sommet est truffé d’antennes en tous genre. Nous redescendons par le « jardin alpini », sorte d’éco-musée en plein air. Les amis de saint Colomban nous ont demandé de tester des chemins jusqu’à Pavie. Nous nous repérons à une ligne haute tension. À Praticchia, joli village aux maisons multicolores serrées les unes contre les autres…pas de bar! Le chemin suit la ligne de crête. Une meute de trials débouche dans un nuage de poussière. Ces motos sont tolérées en Italie. Des motards de l’Europe entière viennent y chercher les émotions fortes. De descentes en descentes nous voilà au bord d’une rivière. Il fait très chaud. Sitôt le repas fini pendant la sieste à l’ombre brulante des peupliers, j’essaye de me rafraîchir dans un filet d’eau tiédasse. Nous repartons par la route jusqu’à Nibbiano. Sur la place, (truffée de bars!) la fête du village se prépare. Les hommes jouent bruyamment aux cartes, les musiciens font la balance du son et nous dégustons une boisson fraîche. Une fois les batteries rechargées nous allons vers Caminata : un nom qui nous inspire. Emmanuel se réjouit devant l’affiche de Roberta, chanteuse aux belles jambes, placardée à l’entrée du village. Ici aussi c’est la fête. Une brochette de villageois prend le frais assis sur un mur. Le ciel est alourdis de nuages orageux, il fait un peu moins chaud et ces gens sont joyeux de nous voir. Il y a au milieu d’eux une ravissante petite grand mère. On cause un brin, ils nous saluent et nous poursuivons la route. L’ancien chemin se termine en cul de sac dans une ferme. Un gros chien vient nous flairer. Desirè n’en mène pas large. Nous passons le plus rapidement possible lorsqu’une jeune fille m’appelle. Elle est « badante » (Elle s’occupe d’une vieille dame), et sa patronne veut me parler. Nous faisons demi tour. La vieille dame et la jeune fille veulent absolument nous offrir une boisson fraîche et même une chambre! Il est trop tôt pour s’arrêter mais nous discutons un moment avec Antonietta et Maria, la jeune Roumaine. Nous coupons à travers champs pour retrouver notre chemin. Une fois au sommet, la cousine de Mirella, Idalina, gare sa voiture. Elle habite près d’ici. On avait prévu de se rencontrer, mais quelle chance de nous retrouver! Mirella va dans sa voiture. Au jardin public de Pometo, où là encore la fête se prépare, Idalina sort toutes sortes de victuailles et de rafraîchissements. Ce soir nous allons à Panevino. Mario a tout préparé; le maire du village est lui aussi ami de saint Colomban, il nous attend. Mirella et Idalina vont en voiture pour le prévenir que nous sommes quelques kilomètres plus loin. Nous descendons la colline, traversons des vigne, et grimpons la butte de Panevino. Nous dormons dans les vestiaires près des tennis à la sortie du village. Un festin de bienvenue nous attend : comme Panevino est un tout petit village sans commerce, le maire a trouvé bon de nous offrir un magnifique pain, du fromage, une bouteille de vin et du saucisson. Avec les fruits d’Idalina nous sommes comblés. Nous nous installons pour la nuit sous l’auvent des vestiaires pour dormir à la fraîcheur de la nuit.
Dimanche 18 juillet 2010 – 41° jour
Canevino – Mezzarino – 29 km – carte
Une violente bourrasque souffle à la fin de la nuit ; la Tramontagne! Au réveil l’air est plus frais et la vue dégagée: on aperçoit la chaîne des Alpes enneigée … notre but à portée de vue! Ça nous donne des ailes! On se dirige vers l’église qui domine tout le village. Le panorama est grandiose : la plaine du Pô, Pavie, Milan que l’on devine et au fond les montagnes. Le 18 juillet est une journée importante pour les paroissiens de Panevino : c’est l’anniversaire d’un miracle qui a eu lieu ici même. Un enfant muet s’est mis à parler alors que les reliques de saint Colomban passaient dans le village, venant de Pavie pour Bobbio. Nous faisons la route inverse. Après la messe nous marchons en compagnie d’un vieil homme très digne. Il nous raconte la guerre en Allemagne, où tant de ses amis sont tombés. Puis nous partons d’un pas vif vers la mairie. Le maire tamponne nos crédentiales et rejoint les paroissiens qui prennent le café avec le curé dans le square en face. J’aurais bien aimé en avoir une tasse, mais les paroissiens n’y ont pas pensé. Notre route continue à descendre graduellement vers la plaine. Nous sommes désormais dans l’Oltre Pô: collines de vignobles, adossées aux Appennins surplombant le Pô. Les villages s’étirant le long de la route sont déserts ce dimanche matin. La campagne regorge de prunes sauvages. Mirella devient championne de la cueillette. On déjeune sur un banc maigrement ombragé devant le bar fermé. À Castana, il est ouvert. Une magnifique terrasse domine la vue. On se repose, on se rafraîchit. Mirella panse ses nombreuses ampoules, Desirè savoure sa glace à la noix de coco, Manou sélectionne films et photos, ne gardant que les meilleurs, et moi, j’écris des cartes postales.
Nous traversons un village survolté par une course de cyclistes : des camionnettes, des hauts parleurs, des motards, des journalistes. On nous ordonne de rester sans bouger ; arrivent les sportifs transpirant dans leur maillots multicolores, et quelques minutes plus tard tous s’en vont et le calme revient.
De part et d’autre du toit de l’église deux anges en zinc sonnent de la trompette. Nous aussi on a nos supporters!
La route continue de descendre jusqu’à Broni. Dernière descente dans les sous bois et nous voilà dans la plaine du Pô. L’église sombre et fraîche abrite la dépouille d’un bienheureux pèlerin, gisant le bourdon à la main et la coquille autour du cou. On se recueille songeurs. Pour nous qui venons de la montagne, Broni est une grande ville étouffante. On en sort péniblement après avoir traversés les voies de chemin de fer, l’autoroute, l’habitat pavillonnaire, le tout sous un soleil desséchant malgré l’heure tardive. Nous faisons nos premiers pas dans la plaine du Pô. J’avoue qu’elle m’inquiète cette plaine avec sa chaleur et ses moustiques légendaires. Mais pour l’instant, dans la douce lumière du soir, elle est plutôt belle. La route peu fréquentée a le mérite d’être droite; on avance vite. Ça et là nous passons devant des fermes en briques, toutes bâties de la même façon. Dans l’une d’elles un camionneur et son gendre nous donnent de l’eau et nous indiquent un chemin. Plus loin, nous sommes perdus. Les moustiques attaquent en rangs serrés et Desirè fait tourner son foulard à toute allure pour les faire fuir! Un paysan nous indique la route de Mezzanino et nous propose de ramasser des tomates de son champs. Mezzanino est un village composé de hameaux, chacun distants de plusieurs kilomètres. On n’en fini pas d’arriver! Il fait nuit quand nous frappons chez le curé. Personne ne répond. Sa voisine au balcon nous dit que ça n’est pas la peine d’insister, qu’il n’ouvrira pas. Nous allons donc au bar pour reprendre souffle. Là on se renseigne. N’y a t-il pas un endroit où dormir? La voisine du curé vient aux nouvelles. La cabaretière nous passe son annuaire et nous prépare une assiette de pain et de fromage. Pas de chambre à louer. Il doit bien y avoir une solution. Elles nous proposent de retourner sur nos pas. Peut -être y a t-il quelque chose à 4 km de là, mais c’est pas sûr! On est un peu découragés et dormir dehors avec les moustiques ne nous tente pas du tout. N’y a t-il pas un garage, une école? Ou un gymnase? La voisine nous dit qu’il y a bien un club sportif derrière l’église. À la cafétéria du club, un moustachu costaud, nous ouvre les vestiaires, aux douches vastes comme des chambres,. En guise de bienvenue il nous offre une Moretti, bière ô combien appréciée après toutes cette chaleur, poussière, fatigue !
Lundi 19 juillet 2010 – 42° jour
Mezzarino – Pavia – 14 km – carte
La route est construite sur une digue. Nous marchons en contrebas loin des voitures, jusqu’au pont della becca, étroit et métallique, qui enjambe le Pô. Le trafic est dense : on a intérêts à faire attention car il n’y a pas de trottoir. Sur le pont c’est bruits, acier et gaz d’échappement, mais sous le pont le fleuve illuminé par la lumière du matin s’étire majestueusement entre ses rives de sable Dans les faubourgs de Pavie nous prenons enfin notre petit déjeuner. Au centre ville Don Marino nous attend. Ce prêtre enthousiaste nous accueille avec beaucoup de gentillesse et de simplicité. Il nous ouvre une salle de caté, nous prépare un petit café serré, nous fait visiter sa paroisse saint François…Il se met en 4 pour nous malgré le peu de temps dont il dispose. Nous posons nos sacs et allons visiter l’église saint Pierre où est enterré Saint Augustin. Le corps de ce vénérable chrétien d’Algérie est ici car il a été racheté à prix d’or aux Sarrasins au VIII ème. Saint Michel est représenté sur l’un des panneaux de son tombeau en marbre. Il y a aussi une chapelle dédiée à sainte Rita, la patronne des « causes désespérées ». On se recueille un moment devant l’une et l’autre. Arrive midi : fermeture de l’église : nous rentrons à la maison. Nous profitons de l’heure chaude pour les lavages en tous genres : corps, linge, pieds, avec un soin particulier pour ceux-ci: trempage dans de l’eau salée additionnée de bicarbonate de soude, perçage d’ampoules avec du fil et séchage avec du mercurochrome. Pour une fois on a le temps! Vers 16 h nous partons explorer la ville. La musique s’échappe des fenêtres grande ouvertes du conservatoire. Nous allons par les ruelles recouvertes de petits galets, très jolis mais très douloureux pour nos pieds fatigués. Chaque pâté de maisons abrite des cours, des patios, des palais. Le quartier de l’université est très animé avec ses librairies, ses places, ses arcades. On admire les fresques et la crypte de saint Théodore. À partir de 568, Pavie devient la capitale des Lombards, puis de l’Italie et ce pendant plusieurs siècles. Les rois étaient sacrés dans la basilique saint Michel dont la construction témoigne de la vénération de ce peuple pour l’archange. Faire escale ici nous semblait important. La façade de cette basilique romane est décorée de bas reliefs rongés par le temps. Saint Michel nous accueille au dessus de chaque porte. À l’intérieur la lumière entre à flot grâce aux nombreuse fenêtres. Les chapiteaux sont magnifiques. Il y a Daniel, Samson… Sur le sol du chœur surélevé, un labyrinthe se déploie devant le maître autel. Près de l’icône de l’archange, lumineuse et paisible nous assistons à la messe.
Le soir nous dînons chez Valéria, amie d’Emmanuel depuis de longues années: repas princier servi avec humour et gentillesse. Une gravure du mont Saint Michel trône dans son salon. Avant de se séparer, elle va chercher un tableau représentant notre ange qu’elle nous présente avec tendresse et fierté. On sent bien que saint Michel organise nos étapes d’une main de maitre !
Avant de se coucher on prend congé de Don Marino : nous le remercions chaleureusement pour son accueil. Nous parlons dans le jardin. Nos gestes désordonnés et bizarres, comme une danse nerveuse, essayent vainement d’éloigner les moustiques, rois de Pavie.
Mardi 20 juillet 2010 – 43° jour
Pavia – Valeggio – 30 km – carte
Lever à 4h30. À 5 h nous traversons la ville déserte, endormie et encore un peu fraîche. Nous marchons vite sur le goudron. Ce qui n’est pas l’idéal pour les ampoules, mais nos cartes ne sont pas assez précises pour se lancer à travers champs. Dans un bar les habitués nous conseillent une petite route, puis un chemin. Nous sommes dans les rizières : du vert et de l’eau partout. Parfois la tête de grands échassiers sort des jeunes pousses. Hérons, cigognes et grues, les pieds dans l’eau dégustent les grenouilles et moustiques qui foisonnent. Les immenses fermes ressemblent à des châteaux. Il fait très chaud dans cette atmosphère humide. Nous marchons à l’ombre de nos parapluies. Arrivés à Dorno, nous sommes cuits! Un joli jardin public ombragé sera le lieu idéal pour la sieste réparatrice. C’est sans compter avec les moustiques qui nous harcèlent (malgré les bombes, essences de citronnelle ou tissus protecteurs). Il y a également un camp de forains qui s’installe : les caravanes se garent, les enfants sortent, les petits jouent aux balançoires, les grands au ballon, les parents crient, distribuent la pizza, installent les manèges…Tant pis, on dormira ce soir!
À la sortie de la ville, le beau Patricio, en vélo, freine à notre hauteur. Où allez-vous? Qui êtes-vous? De quel pays…Il nous accompagne un peu et chacun reprend sa route. La nôtre est brûlante ; 45 degrés, alors qu’il est 18h!. Une petite halte devant la casina Angeli et c’est reparti. Patricio nous retrouve à l’arrivée de Valeggio près du grand château en brique. Là, il ne nous lâche plus mais puisque nous sommes arrivés, nous bavardons près de la fontaine sur la place de l’église en attendant le curé. Un homme se joint à notre conversation pendant que sa femme rend visite à une nièce au foyer Jonas, qui recueille des gens alcooliques et drogués.
Quand le curé arrive en compagnie d’une sœur, il nous ouvre la caritas flambant neuve qui ne sert à personne. Ce qui indigne la sœur. La caritas est une structure destinée à accueillir les pauvres un moment pour les aider à reprendre souffle. Ici tout est restauré avec faste mais la couche de poussière atteste que le lieu est inoccupé. Nous célébrons la messe en compagnie de la religieuse. Une magnifique statue de Marie en bois polychrome inspire Manou. Le magnificat qu’il chante nous émeut tous. La climatisation, la pasta de Mirella, le vin et les douches nous enchantent. Notre petite équipe se soude de plus en plus. Nous sommes heureux d’être ensemble sur la route de l’ange et en sa compagnie.
Mercredi 21 juillet 2010 – 44° jour
Valeggio – Candia Lomellina – 33 km – carte
À 5 h du matin il fait déjà chaud, plus de 27 degrés! On avance vite. À Ottobiano à côté de l’église saint Michel, nous prenons notre petit déjeuner. À la sortie du village nous empruntons un joli chemin à travers champs. Sur le mode du cantique des créatures, nous louons le Seigneur pour les moustiques, les marais, la chaleur…nous envoyons ces improvisations par s.m.s. à Mauro, Tiziana et Gemma qui vont nous retrouver à Turin. Nous voilà dans un cul de sac. Pour retrouver la route voisine, ça n’est pas simple avec les ruisseaux, les canaux, les rizières inondées. On n’a pas envie de revenir longuement sur nos pas… On emprunte un étroit pont-canal en béton; obligés de tremper nos pied dans cette rigole pour passer la rivière. Plus loin, nous voici hésitants dans un champs de maïs. Deux paysans arrivent en 4×4. Nous sommes bien en direction de Lomello, mais il y a un fleuve à traverser et celui indiqué sur notre carte est effondré. L’un d’eux nous propose de nous amener devant le bon chemin en pickup. Je m’installe à côté du chauffeur et pendant que je lui explique notre route de l’ange, j’entends les 3 autres dans la benne rire comme des enfants au manège. Lomello est une très ancienne petite ville bâtie au bord de la rivière Agogna, le long de l’antique voie Romaine. Cette ville, où la reine Théodelinda épousa le roi des lombards, a donné son nom à la région : la Lomellina. L’église saint Michel malgré sa façade baroque, date de 1121. Le sacristain l’a ouverte à cause d’un enterrement. Il nous invite à entrer. Nous disons notre prière à l’ange. Nous allons à Santa Maria Maggiore datant du XI, mais dont l’origine remonte à l’époque de Theodelinda. (VII1). À côté, il y a un baptistère qui remonte au Vème. Mirella nous annonce qu’elle s’appelle Theodelinda en hommage à sa grand-mère. Elle est très étonnée d’entendre ce prénom complètement oublié en Italie. Nous faisons le tour de l’église en brique et admirons le baptistère, petit édifice en forme de croix. Tout semble fermé même si c’est l’heure de l’ouverture. Je remarque que la porte latérale de l’église est ouverte. Pour y accéder il suffit d’escalader des grilles. On entend des petits martellements dans le baptistère. Puisque ThéodelindaMirella est ici, pas question de quitter Lomello sans visiter ces lieux. On passe de l’autre côté de la grille. J’entre dans le baptistère sans faire de bruit pour ne pas déranger les 3 restauratrices en blouses blanches qui travaillent. On dirait des pharmaciennes. Elles me regardent étonnées et quand Desirè s’excuse de notre intrusion, elles explosent. On n’a rien à faire ici. Si c’est fermé c’est qu’il y a une bonne raison etc etc…Elles me saoulent, aussi je vais dans l’église. Desirè ne lâche pas le morceau. Si on ne peut plus aller dans les églises, pourquoi les restaurer? Et quelle est l’utilité d’une église si ce n’est d’y entrer pour prier. Elle leur déclare qu’elle va de ce pas, prier pour elles même si c’est interdit! L’église est vaste, rythmée par de fines colonnades et d’étroites ouvertures. Le soleil entre par petites flaques et fait chanter la brique. De ce lieu paisible, nous sortons vraiment contents. Nous récupérons nos sacs à dos laissés au bar de la place, et en route! La route est toute droite, interminable et sans intérêt. De plus nous sommes écrasés de chaleur malgré nos ombrelles. Pour scander la marche, je sors mon chapelet. Je l’ai fabriqué avec un fil de cerf volant. Le « Notre Père » est un beau bouton en nacre, les 10 « Je vous salue, Marie,» sont 10 petits boutons différents qui m’évoquent le monde de l’enfance, du travail, de la mer, des jours de fête, des jours ordinaires…Et j’ai ajouté un éclat vert de Moldavite (météorite tombée du ciel) pour saint Michel. Pas après pas, nous arrivons à Valle Lomellina, ville toute droite, interminable, sans intérêt. Dans le petit centre historique nous retrouvons Chiara au café. Elle et son mari sont des amis d’Emmanuel. Elle travaille tout près et nous a apporté des fruits du verger de ses parents pour le déjeuner. Le seul endroit un peu frais pour la sieste, c’est l’église. On se trouve un petit coin sombre au fond derrière les bénitiers. On étale nos matelas, s’enduit de bombe anti moustiques et essaye de dormir. La fraîcheur est relative, les moustiques tenaces mais j’arrive à dormir quelques minutes jusqu’à l’arrivée de Beatrice. Quand celle-ci nous voit vautrés dans l’église, elle pousse des cris : « O Dio! O Dio! » Desirè en tant que ministre de la communication, lui explique qui on est et où on va. Et Beatrice, rassurée lui pose plein de questions. Elle lui raconte sa vie de femme au bord de la crise de nerf, et demande si elle ne peut pas se confesser au prêtre. Je réveille Manou. Arrive Tarcisia, veuve, qui quotidiennement vient saluer, chapelle après chapelle, les saints de son église. Beatrice veut absolument nous ramener quelque chose. Nous voilà peu après à savourer des glaces, avec nos deux nouvelles copines sur les bancs de l’église. Il se trouve qu’elle s’appelle saint Michel! En attendant la messe, on va se boire un petit café sur une terrasse. Une voiture freine à côté de nous, c’est…Patricio! Il se gare et veut aller à la messe avec nous.
Après la messe on prend congé de Tarcisia et ses copines. Patricio veut marcher avec nous. Il se propose de porter un sac, ce qui arrange bien Mirella car elle a les plantes des pieds à vif. Le ciel se charge de gros nuages d’orage. On espère la pluie! Patricio, très bavard, nous raconte son amour pour le sport, les marathons, ses genoux usés, son chômage, ses copines badantes. Il est intrigué par notre pèlerinage. Est-ce que vous savez où dormir? Comment faites-vous? Justement, 8 kilomètres plus tard, nous arrivons à Candia Lomellina. Nous frappons chez le curé qui nous dit qu’il n’y a rien pour nous, qu’il fallait prévenir, que non non non. Mais tout en refusant de nous héberger, il attrape des clés et nous invite à le suivre. Quelques rues plus loin il nous ouvre le centre social…saint Michel! Sacré Archange!
Mirella et Desirè vont acheter des pizzas accompagnées de Patricio. Emmanuel retourne avec le prêtre pour faire tamponner nos crédentiales et finalement celui-ci est ravi de notre passage.
Nous voilà tous les 4 dans cette grande salle devant une belle pile de pizzas odorantes. Patricio n’a pas voulu rester, même s’il fait presque nuit et que l’orage gronde.
Jeudi 22 juillet 2010 – 45° jour
Candia Lomellina – Pontestura – 28 km – carte
De Candia Lomellina au pont qui enjambe le Sesia, nous empruntons une agréable petite route en terre. Sur le pont, le trafic de la nationale est calme. Nous pouvons marcher sans danger. Nous entrons dans le Piemonte : « au pied des montagnes » : le but se rapproche! À Terranova, des femmes lessivent à fond l’église saint Roch. La fête du village se prépare. Des hommes nous demandent ce qu’on fait sur la route avec nos sacs à dos. Ils nous accompagnent au bar et nous racontent qu’un de leur voisin a été pieds nus jusqu’à San Giovanni Rotondo dans les Pouilles, pour prier sur la tombe de Padre Pio! J’en serais bien incapable! On échange nos adresses avant de repartir. Nous marchons sur la digue du Pô. D’un côté des peupliers aux troncs roses violacés, qui bruissent dans la brise, et de l’autre, les rizières au vert vif tremblotant sous la chaleur, à perte de vue. La Lomellina est une belle région : les gens très accueillants et attachants, la nature surprenante et il y a si peu de touristes…C’est presque avec regrets qu’on la quitte en franchissant le Pô.
Casale Montferrato est une jolie ville qui témoigne d’un glorieux passé. De grandes places à arcades, des couvents abritant de beaux cloitres, des églises, une cathédrale, des universités, des palais, des rues vivantes aux commerces alléchants… Vers 1470, Casale Montferrato a été un des premier centre de l’imprimerie en Europe, son passé de ville intellectuelle se sent. Nous visitons la cathédrale dont une partie date du XIIème, passons devant l’église saint Michel, (fermée) et entrons dans le quartier juif pour voir une des plus belle synagogue baroque d’Europe. Nous sonnons à la porte. Au bout d’un moment une femme nous ouvre. Elle nous prévient elle n’est que la secrétaire, la guide est absente. Elle nous fait entrer dans la salle de prière pleine de lumière et d’harmonie grâce à une décoration riche en symboles et réalisée de main de maitre. Finalement cette secrétaire est une guide parfaite. Elle nous explique comment les juifs se réussissent pour prier, nous raconte l’histoire de sa communauté, nous déchiffre des phrases hébraïques. Puis elle nous parle du Casale d’aujourd’hui : le ravage que l’usine d’amiante, fermée depuis quelques années, continue de faire ici : plus de 1500 morts. Nous avons effectivement remarqué des drapeaux aux fenêtres, où est écrit : « Eternit giusticia !» (Amiante : justice!). Désormais Casale est une ville sans industrie, touchée par la crise, et elle voit avec tristesse les jeunes partir plus loin. À son tour de nous questionner : d’où venonsnous? Qui sommes nous? Quand elle apprend que nous sommes des pèlerins, elle refuse qu’on paye le prix de la visite et nous donne une brochure sur la synagogue. http://www.casalebraica.org/ITA/Support/SupportMain.ht Pour le déjeuner on nous indique un grand square. Il y a de l’ombre, des bancs, des fontaines et même des jets d’eau pour l’herbe. Les clochards du coin nous saluent ; c’est vrai qu’on commence à être des leurs, cuits par le soleil, sans domicile fixe. On étale une couverture dans l’herbe mais la chaleur est telle que Mirella ne peut s’empêcher de jouer avec les rafraîchissants jets d’eau. Et nous de même! Il faut savoir qu’un moustique quand il est mouillé, devient comme fou. Et on doit subir la frénésie de ces insectes, en plein jour. Une fois de plus je renonce à la sieste, mais les Italiens, eux, dorment comme des bébés couchés sur des bancs.
À 16h, fin de l’heure chaude (en théorie). Nous reprenons la route. Premier arrêt dans un magasin pour les courses du soir. Pendant que Mirella et Emmanuel sont dans les rayons, Desirè et moi savourons l’air frais et sans moustiques, assises près des caisses. Deuxième arrêt devant la sinistre usine d’amiante, toute poussiéreuse et quasi déserte. Des gerbes de fleurs fanées et des banderoles sont accrochées à la grille. Nous contournons ce lieu de mort et continuons notre chemin. On parle peu, on marche sous le soleil. Nous retrouvons le relief : collines à escalader, à contourner. Ça et là, on a une belle aperçue sur le Pô. Les nuages d’orage s’amoncellent. On voit des éclairs au loin mais ici, pas une goutte d’eau. En fin de journée on arrive à Pontestura, ville où nous dormirons. Les faubourgs de Pontestura sont interminables. Nous sommes fatigués, surtout nous les filles. Emmanuel fonce tête baissé vers ce qui lui semble être le centre. Nous, on s’écroule sur un banc devant l’imposant monument aux morts, et on attend, incapables d’aller plus loin. Emmanuel nous téléphone : Qu’est-ce ce qu’on fabrique? Il nous attend! Il a trouvé quelque chose! Nous rappliquons. Alors qu’il était devant la « rue des anges gardiens », Paola lui a demandé ce qu’il cherchait. Elle l’a emmené au presbytère : refus du curé. Elle l’a présenté à son cousin, conseiller municipal qui a proposé une salle, et pendant qu’Emmanuel nous raconte tout ça, elle arrive avec les clés. Cette salle au 4ème étage a besoin d’un bon coup de balais. Alors qu’on nettoie, on entend des appels venant d’en bas. Peu après un grand jeune homme surgit dans la pièce. «Vous n’allez pas dormir ici, les pèlerins, c’est sacré, venez chez moi! » Paola est sa cousine, nous allons chez elle rendre les clés. Elle est un peu dubitative, mais nous confie que Paolo (le grand escogriffe), a un cœur d’or. Paolo est un original. Il a beaucoup bourlingué notamment en Amérique Latine. Il nous parle des indiens avec une voix un peu troublée. Il nous bénit selon des rites bizarres. Nous, ça nous amuse et on le suit. Il présente Emmanuel à sa vieille mère qui dormira chez une cousine cette nuit. Elle est ravie de notre venue. Il nous ouvre sa maison construite par son père maçon, qui est mort quand Paolo était encore enfant. C’est une belle et grande maison qui respire la paix. Il nous indique nos chambres, nous montre la salle de bain, et pendant que les premiers se lavent, les autres, Mirella surtout, cuisinent avec Paolo qui s’avère un bout un train hors pair. Pendant le dîner, un peu arrosé, arrive Giorgio, avec une autre bouteille de vin. Nous passons un très joyeux moment avec ces 2 garçons un peu étonnants. Quand arrivent Paola et sa famille, Paolo fait subrepticement disparaître les cadavres des bouteilles. Puis allons tous ensemble à la maison de quartier boire un verre.
De retour chez Paolo, il nous accompagne dans nos chambres : il s’agenouille devant Emmanuel pour être béni, puis à son tour, il le béni à sa manière en espagnol, avec des gestes de sorcier. Moi, il m’allume une bougie pour la nuit. Il masse les pieds de Mirella, quant à Desirè qui perce ses ampoules avec du fil et une aiguille, elle récolte un « bonne nuit » sonore. On s’endort vite. Au milieu de la nuit, on est réveillés par des hurlements : Paolo qui a mis la télé à fond crie, excite le chien qui aboie, sort, claque la porte, entre, crie de nouveau, hausse encore le son de la télé… Tant pis pour la nuit, Paolo doit être complètement saoul! Nous, sur le qui-vive, on attend avec impatience qu’il soit assez tôt pour partir.
Vendredi 23 juillet 2010 – 46° jour
Pontestura – Brusasco – 30 km – carte
À 4h30 on est debout. Partis 10 minutes plus tard, malgré les supplications de Paolo qui veut nous offrir un thé. On marche bon train sur la petite route qui serpente dans une profonde vallée boisée. On échange sur nos impressions sur la nuit : quelle rigolade après coup! Pauvre Paolo!
L’air est presque frais grâce à l’orage de la veille. Une voiture freine, c’est Giorgio qui part travailler. Il nous montre sa maison perchée tout en haut de la colline et nous souhaite bonne route.
Chaque matin nous partons à l’aube, sans rien manger. Aussi ce qui me motive c’est de trouver le bar où le cappuccino bienvenu me permettra de tenir, malgré les courtes nuits. Mais finalement je suis étonnée de constater que le manque de sommeil, de café et de tabac ne m’affectent pas tant. La route est très jolie, toute en courbes, bordée d’arbres et de maisons fleuries. Elle s’élève graduellement, nous permettant d’admirer le Pô. Le relief est accidenté, et sur chaque crête on devine une petite route semblable à la nôtre. Les maisons sont nombreuses mais il n’y a pas de village. Dans un bureau de tabac-épicerie nous demandons s’il est possible d’avoir un petit café. La commerçante devine qu’on en a bien besoin et nous en prépare un, avec sa bonne veille cafetière italienne. Nous le dégustons au soleil, sur la terrasse avec des gâteaux et des fruits, entre les draps qui sèchent et la vue imprenable sur le fleuve!
Plus loin, c’est Gabiano et son château fort qui surplombe toute la plaine. Nous descendons du village par des vignobles et arrivons au bord du Pô, où une grande terrasse de café nous tend les bras en face de la boutique de Pompes funèbres « Eden »! Nous y restons longuement, nous reposant, écrivant ou téléphonant à nos futurs collègues de marche. Nadia la serveuse se joint à notre conversation. Elle nous dit être allée quelques fois à Turin, dont elle aime la foule. Mais elle préfère son village. Nous prions saint Michel avec Nadia et sa mère, et repartons. Nous marchons longuement sur la digue du Pô. Puis nous entrons dans un dédale de collines escarpées où l’ombre bienfaisante des grands arbres nous permet d’avancer sans trop transpirer. À Verue de Savoie nous nous arrêtons pour la pause de mi-journée. Un repas pris autour d’un banc en discutant de saint Ignace, puis une sieste sur le trottoir à l’ombre des tilleuls. Le village rural a un aspect montagnard et les gens sont bienveillants devant cette bande de nomades couchée par terre. Nous, on apprend la simplicité, et moi je dors pour de vrai! Me voilà presque Italienne!
Vers 16h, nous repartons. La route s’étire toujours aussi agréablement à travers les collines. En fin de journée nous rejoignons la plaine pour s’arrêter à Brusasco, petite ville au bord de la nationale. Nous attendons le curé au bar : la bière du soir, quand on est arrivés après toute cette fatigue, est un pur bonheur! Comme chaque jour Mario de Bobbio nous téléphone. Il essaye de deviner où nous sommes et se trompe rarement. Ça nous touche de constater que le lien tissé avec lui, sur la via degli abbate, continue de se dérouler.
Arrive le curé. Il nous ouvre une superbe salle de spectacle pour dormir et il y a des douches! Mirella et Desirè font les courses ; Mirella a une énergie impressionnante! Desirè aussi. Moi, je lave mon linge, mais surtout je me repose les pieds!
Don Pietro nous ouvre son église pour la messe. Nous remarquons, (c’était sûr!) une statue de saint Michel sur l’autel. Don Pietro vient bavarder avec nous. Il nous raconte sa paroisse, le carnaval organisé chaque année avec des chars décorés, les pèlerinages dans le monde entier, la marche jusqu’à Turin qu’il avait faite avec ses paroissiens, et la rivalité digne des Montaigu et des Capulet entre sa paroisse et la voisine, située à 1 km, dans la même zone urbaine, mais qui juste après un petit filet d’eau se nomme Pomaretto! La sœur du curé l’appelle pour le dîner. Le nôtre sera servi sur la scène de notre théâtre, avec entre autre, des pastèques juteuses et du bon vin.
Samedi 24 juillet 2010 – 47° jour
Brusasco – San Mauro Torinese – 36 km Carte
À 5h du matin il ne fait que 13 degrés! Quel changement! Pas de bar ouvert à Pomarreto. On continue d’avancer sur une route calme un peu en hauteur, parallèle à la nationale. Emmanuel cherche un chemin indiqué sur sa carte qui passe à travers les collines, mais un vieux monsieur nous dissuade d’y aller ; on risque de se perdre. À Colombaro on trouve enfin le premier bar dans un centre sportif pour notre petit déjeuner, il est 10h! Après nous empruntons un chemin qui longe une rivière à travers bois. Petit à petit, de courbes en côtes, nous nous élevons au dessus de la plaine. Les pruniers croulent de fruits. Nous apercevons Turin la grande ville qui s’étale à nos pieds, et derrière, les Alpes enneigées. Nous nous installons sur l’herbe à l’ombre de grands arbres pour le repas et la sieste : bonheur tout simple du pèlerin : enlever ses chaussures, se coucher sur une couverture, fermer les yeux et écouter le chant des cigales jusqu’à ce que le sommeil arrive!
L’après midi la route nous amène de vallées en villages, de courbes en descentes, de bois en vergers jusqu’à la plaine et la première ville de banlieue : Gassino. La vieille ville serrée autour de son église a des rues à arcades sous lesquelles de grosses voitures sont stationnées. Les piétons n’ont qu’à marcher sur la chaussée! On s’offre une boisson pour fêter l’arrivée en ville. Le bar est bourré de siciliens qui parlent fort et nous regardent du coin de l’œil.
Nous longeons longuement un canal par le chemin de halage où nous retrouvons le logo de la Via Francigena. Nous croisons quelques coureurs aussi transpirants que nous. La silhouette du Mole Antonelliana pointe à l’horizon. On traverse des quartiers résidentiels, des boulevards, des passages cloutés…La ville quoi! Et nous voilà à San Mauro. Devant l’église un mariage vient d’être célébré et le sacristain tout en balayant le riz nous conseille de téléphoner au curé. Il nous donne le numéro, et quelques minutes après, nous voilà à san Benedetto accueillis par Don Claudio. Il nous ouvre une grande salle de réunion et nous montre les sanitaires où un robinet fera l’affaire pour la toilette. Ce soir nous sommes contents d’être quasi arrivés à Turin. On a prévu de rester 2 jours sur place pour se reposer, et la perspective de flâner nous enchante.
Demain on fait la grasse matinée! On dîne, on discute autour d’une bouteille, on arrange nos lits avec des coussins trouvés dans la pièce et nos petits matelas, et on s’endort en paix.
Dimanche 25 juillet 2010
48° jour San Mauro Torinese – Torino – 8 km Carte
Nous fermons la porte de san Bendetto à 7h…en oubliant les bâtons de marche de Mirella. Don Claudio est déjà parti. Demain, quand Mauro arrivera, on ira en voiture récupérer ses précieuses cannes qui l’aident à rythmer ses pas. Ici, en ville on peut prendre notre petit déjeuner dès le matin! On remonte longuement des avenues aux trottoirs défoncés. On longe des usines, de grandes citées dortoir, des grossistes en tous genre, des murs saturés d’affiches… jusqu’au fleuve. De l’autre côté du pont, Turin s’organise en avenues boisées. Les immeubles sont plus cossus. Nous débouchons sur la grande place de la République : lieu du marché. Ce dimanche matin, quelques hommes (étrangers pour la plupart) vendent des objets hétéroclites à même le sol. Nous passons devant l’hôpital de la divine providence, ou « Cattolengo ». Manou nous explique que cet hôpital a été créé vers 1830 par un prêtre Don Giovanni Bendetto Cattolengo, soucieux de soigner les plus pauvres, et ce gratuitement. Il recueillait les malades dont personnes ne voulait plus et l’hôpital fonctionnait (porté par la prière) uniquement grâce aux dons. Je site wikipedia : « De nos jours le Cottolengo est un ensemble important de bâtiments où tout est travail, prière, charité. Il abrite plusieurs milliers de malades, assistés par des religieuses et par des bénévoles, hommes et femmes. Sa structure est subdivisée en plusieurs familles dont chacune a une fonction bien précise: certaines d’entre elles assurent les travaux nécessaires, d’autres prennent en charge l’assistance aux malades. Dans cette citadelle de la charité fonctionnent des systèmes cuisine-cantine et d’assistance parmi les plus modernes. De nombreux médecins turinois offrent gratuitement leurs services et appliquent des traitements très avancés. L’activité d’infirmier est essentiellement assurée par les Familles de la Charité qui se consacrent à l’assistance des malades pour l’amour de Dieu et du prochain, avec une abnégation digne d’éloge. La Piccola Casa a enregistré un développement prodigieux: à l’heure actuelle, elle compte, en Italie et à l’étranger, plus de 100 établissements. »
Juste à côté de l’hôpital, devant une petite porte, il y a un attroupement de Roumains, Moldaves, Roms venu assister à la messe orthodoxe. De l’autre côté de la rue, c’est notre maison : chez la maman de Don Bosco. Nous entrons dans le monde des Salésiens pour récupérer la clé de notre chambre. Je suis émerveillée par leur sens de l’organisation. Tout autour d’une grande cours, des tables à l’ombre des arcades sont à la disposition du visiteur, à côté de la cafétéria, d’une fontaine, d’une librairie et des commodités. Une petite chapelle silencieuse est toujours ouverte. Dans la grande église où don Bosco est enterré, les messes se succèdent, célébrées par des prêtres du monde entier. La liturgie y est vécue avec cœur. Tout près on voit de grands bâtiments scolaires. Des gens de toutes nationalités vont et viennent, avec calme, grâce à toute cette logistique. De grands panneaux au murs racontent la vie de Don Bosco. Cet enfant pauvre a choisi d’être prêtre. Séminariste, il a fait 36 métiers pour payer ses études. Une fois à Turin, où tant de paysans venaient tenter leur chance, il a été saisi par la misère et le désœuvrement des jeunes. Dès 1854 il a déployé son génie et mis toute son énergie pour leur donner une formation, un métier : un avenir. Le Turin au XIX ème devait être une ville sans pitié pour les pauvres : Don Cattolengo s’est battu pour leurs malades, Don Giuseppe Cafasso pour les prisonniers, Don Bosco pour les jeunes, Giulia Colbert et son mari, et au début du 20 ème Pier Giorgio Frassati, ont travaillé sans relâche pour eux.
Aujourd’hui la main d’œuvre émigrée est importante, et même si, depuis les jeux olympiques de 2006, la ville est dynamique, belle, propre et prospère, on remarque qu’il y a encore du travail!
Après le déjeuner, nous dormons…3h! Puis nous assistons à la messe près de la tombe du grand Don Bosco. Je suis très émue de pouvoir prier près de lui. En fin d’après midi nous parcourons la ville; ses larges rues commerçantes, ses places bordées de palais, des églises richement décorées, le château des ducs de Savoie, la cathédrale qui abrite le célèbre suaire supposé du Christ, les ruines romaines, les luxueuses vitrines…Nous dégustons des glaces, regardons la foule, assis sur un banc : de vrais touristes! Après une pizza vite avalée, nous nous couchons comme les poules.
Lundi 26 juillet 2010
Nous nous réveillons le plus tard possible, mais on a oublié comment faire la grâce matinée. Vers 8h, nous prenons notre petit déjeuner. Emmanuel a tout un programme de visite, il part explorer la ville pendant que nous nous régalons au marché place de la République. Il est immense! On y trouve de tout : tout nous réjouit : les couleurs des fruits, des légumes, des vêtements, que le soleil avive, les odeurs savoureuses des olives, pains, fromages… les boniments des droguistes ou des camelots en tous genres, les prix des vêtements… Les gens vont, viennent, portent des caisses, tirent des chariots, haranguent, bavardent, plaisantent, conseillent, vendent et achètent. Certains, à la sauvette, proposent des sacs, des pains arabes, un œil sur le client, un autre sur l’éventuelle arrivée de la police. Nous regagnons notre maison salésienne le sourire aux lèvre et les bras chargés d’emplettes. Après le repas, pris à l’ombre de Don Bosco…Nous nous couchons pour une bonne grosse grande sieste! Plusieurs heures plus tard Gemma nous réveille et c’est un peu abrutis que nous accueillons nos collègues Tiziana, Mauro et Gemma. Les 2 premiers ont déjà marché avec nous en Toscane, et Gemma tente pour le première fois ce type d’aventure. Pendant que Manou et Mauro vont acheter des cartes et récupérer les bâtons de Mirella, nous faisons un tour dans le centre de Turin. Tiziana est émerveillée, Gemma se précipite dans toutes les églises.
Le soir, nous assistons à la messe tous les 6, dînons et allons nous coucher. Mirella et moi choisissons de dormir sur la terrasse sous la pleine lune.
Mardi 27 juillet 2010 – 49° jour
Torino – Sant’Ambrogio – 28 km Carte
À l’aube nous sortons de Turin par le ‘corso de la Francia’ : la plus longue avenue de la ville. Nous longeons de beaux hôtels particuliers style ‘art nouveau’. Gemma a orné son sac à dos d’un ballon gonflable. Vue de dos, on ne voit que 2 jambes prolongées d’un immense sac, recouvert d’une grande serviette de bain qui sèche sur un cintre, et le ballon tressaute à chacun de ses pas, comme la queue d’un lapin.
La sortie de Turin est plus agréable que l’entrée. Nous marchons toujours en ville, même si le nom des communes change. Au bout de 2 heures, on ne s’arrête sur un banc que quelques instants, histoire de faire sécher nos chaussettes, car Rivoli n’est pas si loin et la ville très jolie. Une dame qui prenait le frais, se voit brusquement entourée par 7 marcheurs. Devant son air intrigué, Desirè lui présente notre route, comme elle sait si bien le faire.
À Rivoli, l’écart se creuse entre Gemma, Mauro et le reste de la troupe. Pour moi, Rivoli n’évoquait qu’un boulevard de Paris, à présent je sais que c’est un village, aux belles maisons renaissances en pierre, construit autour de son imposant château, sur la première colline qui amorce les Alpes. Sur la place, près de la fontaine, on attend tranquillement au bar que la troupe se reconstitue. Quand Gemma arrive, elle est furieuse : « On aurait pu l’attendre. Heureusement que Mauro est plus charitable que nous… » On lui conseille de boire un coca, chargé en sucre pour recharger ses batteries, et on lui rappelle qu’il est important de marcher à son propre rythme pour éviter toute fatigue inutile, et que, de toutes façons, on veille sur les retardataires, et qu’avec les téléphones portables, on ne peut pas se perdre. Moi je craque, et achète des cigarettes. Au soleil, avec Desirè on se fume cette petite gâterie!
Nous repartons sur l’ancienne route de la France. Elle traverse les villages, passe sous de vieux remparts, longe des murs, traverse la campagne. C’était la voie naturelle pour ceux qui franchissaient les Alpes, avant la création des tunnels et des autoroutes, et on sent encore son influence sur le découpage des champs et sur l’urbanisme.
La longue pause repas/sieste a lieue devant l’abbaye
Sant’Antonio di Ranverso. Elle est ouverte, aussi Mirella, Manou, Desirè et moi profitons de l’aubaine pour visiter cette église en brique recouverte de belles fresques savoyardes. Le guide nous fait un prix ‘spécial pèlerin’. Desirè commence à bien reconnaître les statues des saints si souvent rencontrés comme Rock, Antoine, Sébastien, Jacques. L’ancienne hôtellerie pour les pèlerins est de l’autre côté du jardin. Ce devait être un lieu important sur la route de Rome. Aujourd’hui, nous sommes en compagnie de 2 camionneurs qui mangent leurs sandwichs à l’ombre des grands tilleuls.
Après la sieste, nous prenons notre café à San Tomasso. Tiziana préfère continuer de son pas tranquille, en suivant les signes de la Francigena. Par ici, la montagne a des plaies encore visibles, dues à des explosions à l’époque où Nobel faisait des essaies de dynamite. On y trouvait de l’or, exploité par les Romains. On se rapproche de la Sacra San Michele. À partir d’Avigliana, sa silhouette agrippée au rocher se découpe très distinctement. La Sacra : c’est la michemin entre Monte Sant’Angelo et le Mont saint Michel! L’entrée du val de Suza, et au bout…La France. On prendra du temps là bas chez saint Michel, pour faire le point sur tous ces pas parcourus. La vue du sanctuaire nous donne des ailes et du baume au cœur!
Nous arrivons les uns après les autres à Sant’Ambrogio. On attend le curé, assis sur les marches de l’église. Mohamed s’installe avec nous après avoir embrassé tout le monde, (surtout les filles). Dans un sac de sport, il a tout son fond de commerce : mouchoirs et chaussettes, qu’il écoule en frappant de maison en maison. Son haleine alcoolisée indique où il place ses économies. Il cherche désespérément une femme. Don Roméo interrompt notre conversation en le saluant amicalement sous le doux nom de « beau merle », et l’encourage a lâcher la bouteille. Une fois Mohamed parti, Don Romeo nous propose de dormir à la Caritas. Il y a juste assez de place pour dérouler nos matelas entre les meubles et les ballots de vêtements. On se lave au robinet. Les toilettes sont sur la place. L’hôtellerie de ce soir est des plus sommaire mais ça nous convient tout à fait! À Sant’ Ambrogio il convient de faire des courses pour plusieurs jours car après nous allons dans la montagne, sans possibilité de se ravitailler. Mauro, Mirella et Tiziana dressent une liste de vivres à acheter, pas trop pesantes de préférence, et Don Romeo les emmène en voiture au magasin. Arrive Maria, elle marchait avec nous de Rome à Sienne, et nous sommes vraiment contents de la retrouver. On assiste à la messe au pied de la Sacra. Puis on dîne derrière l’église assis sur un mur encore chaud du soleil de la journée. On plaisante en compagnie de la pétulante Maria avec les passants, dont le prêtre qui fait quelques pas au bras de sa mère nonagénaire. Après une dernière virée en ville on va se coucher dans notre micro-gîte.
Mercredi 28 juillet 2010 – 50° jour
Sant’Ambrogio – Sacra San Michele – 3 km Carte
Paolo arrive de bon matin. Il a connu Maria sur la route de saint Jacques de Compostelle et se joint à nous pour la journée. Nous sommes 9 sur ce beau chemin muletier. La côte est rude jusqu’à la Sacra, mais l’ombre abondante, les fontaines, les bancs, les points de vue sur la vallée et sur l’abbaye facilitent l’ascension…Ah, si seulement les autres chemins italiens étaient remis en état comme celui-ci, ce pays serait un paradis pour les marcheurs… Une fois arrivés on nous donne les clés de notre maison : une grande salle avec cuisine et des douches (chaudes!). Merci saint Michel! Nous posons nos sacs et poursuivons l’ascension jusqu’au cœur de la Sacra. Un immense archange de bronze veille sur la vallée. Près de lui, un escalier de pierre, long, raide, taillé dans la roche, mène à une porte étroite. (Vue d’en bas). Les niches aménagées dans ses hauts murs abritaient jadis les moines morts et momifiés. Tout en haut, la petite porte romane laisse entrer une vive lumière. Elle est décorée de chapiteaux : je remarque Samson, ébranlant le temple des Philistins. (J’ai une grande admiration pour ce héros biblique.) Un calendrier zodiacal, finement ciselé orne un des linteaux. Encore une petite cours, quelques marches et nous voilà devant le portail du XIéme. Nous entrons dans l’église, organisée en 2 parties : un espace rectangulaire assez sombre, où sont exposés toutes sortes de tableaux de saints en tous genres, et le lieu du culte, inondé de soleil grâce aux nombreuses fenêtres… les courbes des voutes, les couleurs chaudes du chœur, des fresques, le rythme des colonnes, la sobriété de l’autel et derrière, l’immense baie encadrées des statues de l’ange Gabriel parlant à une Marie paisiblement attentive… Tout cela nous émerveille! Je suis étonnée de ne voir aucune représentation médiévale de saint Michel. Il y a bien, à droite du chœur, grand tableau renaissance, où il terrasse un démon…Grand classique du genre. Moi je préfère nettement quand il est digne et paisible, vêtu d’une tunique, tenant d’une main une fine croix de procession, et de l’autre la lettre de mission de Dieu pour les hommes, comme au Gargano où au Mont Saint Michel, sur l’icône de l’église du village.
Compte tenu du peu de touristes, on nous propose de célébrer la messe dès à présent. Nous sommes un peu émus. Plusieurs visiteurs se joignent à nous près de l’autel. Lors de l’homélie, Emmanuel rend grâce pour tout ce qu’on a reçu. Il loue notre partenariat avec l’Archange, et met en valeurs combien on se sent invités par lui à faire ce cheminement. Une femme, émue aux larmes en l’écoutant, prend la parole. Elle vient de Calabre. La semaine passée, elle a vu une émission sur la Sacra et sentait qu’il était important pour elle d’y aller. Seulement la Calabre, c’est le bout du monde. Il se trouve qu’une voisine cherchait quelqu’un pour l’accompagner à Turin…et la voilà ici, à prier avec nous. Après la messe, Mauro nous cuisine une pastachuta délicieuse! Devant mon étonnement admiratif, il nous explique qu’étant policier, mal logé dans des casernes vieillottes et spartiates, il a appris la cuisine pour agrémenter le quotidien. Les plats qu’il confectionne sur un petit réchaud électrique sont très appréciés par ses 3 autres collègues de chambre. Après le repas, Maria et Paulo nous quittent. Les autres décident de rester. Nous avons quartier libre pour méditer, visiter, prier ou flâner à notre guise. Avec Desirè, je m’installe au bar et nous préparons les enveloppes et les cartes postales pour la soixantaine de personnes rencontrées sur la route. Puis nous restons longuement dans l’église, jusqu’à la fermeture. Tous les touristes s’en vont un à un. Seuls restent à la
Sacra, la toute petite communauté des pères Rosminiens et nous. Pouvoir se promener seuls dans un tel site est une expérience unique. On regarde le coucher de soleil rougir la plaine de Turin. Moi je me couche tôt, mais les autres profitent longuement de cette nuit d’exception.
Jeudi 29 juillet 2010 – 51° jour
Sacra San Michele – Pian dell’Orso – 13 km Carte
Nous assistons à la messe avec 2 des 3 prêtres résidant ici. Elle a lieue dans une petite pièce aux fenêtres bouchées par des voilages…Dommage de se retrouver dans un placard sans vue alors que l’église est vide. On sort dubitatifs.
Maintenant, nous allons à la rencontre des Alpes, sur la voie des Francs. Après quelques boucles, (et un premier bar fermé), on arrive au col Braida. Là le petit déjeuner est royal dans la chaleureuse cafétéria. Dès la sortie du village, on marche dans la forêt sur un large chemin qui monte doucement. On plaisante, Desirè décrit la maison de ses rêves. Mirella dit comment elle eu envie de venir marcher avec nous grâce au site Internet. Elle confie que son lien avec saint Michel, assez ténu au début, ne cesse de s’approfondir. On cueille fraises et framboises. Mauro reste à la hauteur de Gemma, l’assiste et l’encourage. Tiziana marche d’un pas tranquille et régulier. Elle est clown pour les enfants hospitalisés. Elle exprime sa compassion et sa délicatesse par l’humour, et elle est franchement drôle. Ses blagues désarment l’agressivité, relativisent la fatigue. Elle est une compagne précieuse.
Notre jolie route se termine en cul de sac. Sans doute s’est elle effondrée…On coupe à travers la montagne qu’on escalade en s’accrochant aux branches. Là haut, par chance, on trouve la route des crêtes. On distingue la Sacra, déjà un peu lointaine. Les myrtilles couvrent le sol. Le soleil joue avec la brume qui se disloque. Gemma trouve qu’on parle trop, et qu’un pèlerinage doit être silencieux. Ça jette un froid, mais on continue de parler. Il est vrai que généralement, on marche plutôt silencieusement, concentrés sur la route, le paysage et la fatigue à gérer. Mais on n’a pas fait vœux de silence, et la montagne est grande. Nous arrivons à Roccia corba. Même si ça n’est pas encore l’heure de la pause, le site est tellement beau qu’on s’arrête. De grandes pierres plates dominent l’abîme. Couchés sur les roches on admire le jeu des nuages du vent et du soleil. Une petite heure plus loin, le sentier nous amène à Braida. C’est une clairière avec une chapelle au toit de lauzes, de grandes tables, une fontaine, de l’ombre…Lieu idyllique pour une autre pause, seulement il faut avancer. Une fois bien désaltérés on continue jusqu’au col de Bermulé où on s’arrêtera longuement pour manger. Temps estimé sur les panneaux : 1H30. Le minuscule sentier serpente autour des fougères, se laisse deviner sur la rocaille. C’est un jeu de le suivre. À droite, dans la vallée, les hameaux aux toits en pierre, les troupeaux dont on entend les cloches, les rocailles et les névés sur la hauteur, nous font réaliser que nous sommes bien en montagne. On passe devant la tombe d’un collègue tombé en route.
Ça nous arrivera bien un jour aussi!
Au col Bermulé Manou et moi attendons les autres. Mirella, Tiziana et Desirè souriantes et enthousiastes sortent de la forêt. Ici, dans les alpages, il fait très chaud et l’ombre difficile à atteindre. Las de patienter et assez affamés, on décide de commencer à manger. Mauro et Gemma arrivent 2 heures plus tard! Gemma est morose, même après avoir mangé. Un bon moment plus tard, voyant des cumulonimbus, signe d’orage, monter dans le ciel, je propose de repartir. En montagne, il faut être prudent, et on en a marre de rester ici. Gemma explose : « Vous pouvez partir! Nous, on reste! » Je n’aime pas du tout cette façon de diviser le groupe. Mais je la boucle et nous partons, laissant Tiziana et Mauro en sa compagnie. Au col de l’ours il y a une pâture, une fontaine et une chapelle. Son grand porche peut servir d’abri pour la nuit, à moins qu’on ne préfère le refuge aménagé contre le bâtiment : une porte qui ferme, un poêle à bois, des bougies et même des sacs plastiques pour remporter nos détritus. Emmanuel propose d’y faire l’étape nocturne. Les vaches, curieuses et amicales nous suivent partout. Au début on n’est pas très rassurés, mais au bout d’un moment, elles deviennent franchement copines. Je me lave à la fontaine au milieu du troupeau. Des vaches se risquent à lécher le savon sur ma peau. La langue d’une vache a la douceur du papier de verre. Expérience unique! Nous avons une dette vis à vis de Desirè : depuis l’étape de Noël, elle veut apprendre à faire du feu. Puisque le vent souffle et qu’il fait assez froid, on ramasse du bois, on construit un foyer avec de grosses pierres pour la veillée. Mauro porte des pierres, Tiziana et Mirella confectionnent des sets de table en papiers découpés pour faire honneur à notre repas. Au loin, la silhouette de la Sacra se découpe sur les nuages d’orage qui envahissent le ciel.
La tempête souffle lors du dîner. La tension accumulée depuis Turin explose…
Pendant que les éclairs zèbrent le ciel, ici, au sein du groupe rien ne va plus! Mauro, le « gardien de la paix » arrive à calmer les choses. Mais Gemma pose problème. On n’a presque rien mangé, noués par la colère et l’incompréhension. On allume le feu. La flamme claire et sa chaleur apaisent un peu les esprits. On dort mal cette nuit-là.
Vendredi 30 juillet – 52° jour
Pian dell’Orso – Menolzio – 25 km Carte
On se lève tôt, complètement congelés. On range les pierres, fait nos sacs, mange un morceau… Et à nouveau Gemma attaque. Emmanuel excédé s’en va. Je lui emboîte le pas en courant. Nous voilà tous les 2, laissant les autres avec les cartes. Mauro connait l’itinéraire. Il nous faut du temps pour reprendre notre calme. Que faire? On ne peut pas abandonner les autres, mais hors de question de continuer avec elle. Tout en réfléchissant et en discutant, on descend la montagne. On traverse des fermes, des hameaux en cours de reconstruction, une sombre forêt de sapins. On arrive au refuge de Geat val Gravio. Là une colonie de vacances s’apprête à partir en ballade. Les enfants ont décoré leurs bâtons, ils mettent leur pique-nique dans leurs sacs. Les animateurs les encadrent avec beaucoup de gentillesse. Et nous, au milieu, on savoure, en plus du cappuccino, une délicieuse tarte aux myrtilles qu’ils ont fabriqués. Impossible de joindre les autres, le réseau ne passe pas. Nous repartons, traversant des pâtures pleine de ruisseaux et de gentianes. Nous passons devant le « paradis des grenouilles », un lac vert vif. Au fond de l’eau transparente, illuminée par le soleil, on distingue très nettement les poissons nager. Un héron est à l’affut. Enfin, des nouvelles : Desirè, Mirella et Tiziana gèrent la situation et nous comprennent très bien. « Nous marchons sous une aile de l’ange, et vous, sous l’autre.
» Mauro guide le groupe.
Cette situation de crise nous montre bien qu’on n’est pas des surhommes et que l’Archange a encore du travail avec nous. Notre désir est de cheminer en paix, à la grâce de Dieu, pour creuser en nous un dialogue avec le Seigneur. Force est de constater que dans une atmosphère tendue et pleine d’incompréhensions nous sommes déstabilisés et que le calme cherché est impossible. Ne soyons pas gentils, soyons vrais : on envoie donc un texto à chacun : la route continue avec nous si vous le voulez, mais sans Gemma. Une fois le message envoyé, nous voilà plus légers. Les balises de via dei franchi sont très discrètes. Après un village en ruine, on transpire sec dans la côte : suer à grosses gouttes n’est pas une image, mais bien la réalité. Les autres nous avisent que Gemma est partie, elle a trouvé quelqu’un pour venir la chercher au refuge! Nous descendons longuement jusqu’à Mathie par un magnifique chemin, dallé, bordé de murs. C’est l’antique chemin des francs. Dommage qu’il soit mal entretenu, bourré de branches mortes et d’un épais lit de feuilles de châtaigniers. En arrivant à Mathie, un groupe de retraités joue à la pétanque près du square. Il y a des tables, des bancs, des sanitaires…On leur demande s’il est possible de dormir ici près des balançoires cette nuit. « Aucun problème! ». Alors on laisse nos sacs contre un banc, (les messieurs trouvent qu’on n’est pas très prudents, mais puisqu’ils contiennent surtout du linge sale, on est tranquilles!), et on file à Menolzio, le village d’à côté, acheter un pique nique de fête pour remettre la troupe de toutes ces émotions. Puisqu’on est bien en avance sur les autres, on s’offre une bière fraîche, aux bulles qui pétillent contre le palais! Dieu est grand!
Nous sommes heureux de nous retrouver. Un employé communal nous propose de nous installer au club des joueurs de boules à côté du square : c’est une petite cabane avec la lumière, des tables et des bancs. L’accueil de ces gens là achève de nous réconforter. On passe une bonne soirée, puis on dort comme des bébés.
Samedi 31 Juillet 2010 – 53° jour
Menolzio – Exilles – 25 km Carte
La route traverse le bourg montagnard de Menolzio et longe une étroite vallée plantée de vergers et de potagers. Des biches paressent au soleil du matin et détallent à notre approche. Nous arrivons dans un hameau. L’église construite sur un promontoire s’appelle saint Michel. Ici encore, le petit square est aménagé avec soin pour les enfants et les joueurs de boules. Une pancarte vermoulue indique « la via dei Franchi », on s’engage donc dans la forêt, et on s’époumone en gravissant la ‘côte de la mort’ : 900 m de dénivelés en 1 ou 2 km…Je vois mon dernier jour arriver tellement mon cœur s’emballe. Chaque pas est une lutte dans ce terrain inégal. Le pied roule sur les pierres, se perd dans le tapis de feuilles mortes, butte sur des bouts de bois. Parfois le poids du sac nous entraine en arrière. Une fois en haut on s’arrête pour reprendre souffle, mais puisqu’on est trempés de sueur, on a vite froid. L’étroit sentier domine l’abîme. On traverse une forêt, mais à cause des arbres tombés sur notre route, cette via dei Frachi devient un véritable parcours sportif. Finalement, même si c’est fatiguant, on trouve cocasse d’être obligés de se coucher sous les troncs, ou d’escalader les branches. On se prend pour Indiana Jones au pays du pèlerin perdu. À part une trial, (seule trace repérée) il est bien clair que plus personne ne passe par ici! Le chemin débouche enfin sur la civilisation : un banc devant des géraniums à l’entrée Madonna della Losa. On s’assied au soleil en mangeant un peu (pas de bar ici). Nous sommes charmés par les airs de rock que le voisin écoute à fond, en slip sur sa chaise longue, près de son dogue argentin. Les vacanciers bronzent, les pèlerins passent. On croise des scouts de tous âges, ployant sous leurs énormes sacs à dos. Derrière l’église du IX ème, décorée de fresques, la vue surplombe toute la vallée. Sur les murs des maisons pimpantes et soigneusement fleuries, on admire des reproductions de tableaux. Ces peintures brossent avec talent ces même rues, au XIX ème. On se perd en suivant la via dei franchi : si les balises existent, le chemin a disparu sous la végétation. On arrive enfin à Reyes, une station de ski assez moche. Enfin un bar! On enchaîne petit-déjeuner, repas, bière et café. Pour une fois qu’on trouve un bar, on en profite. De plus, après tous ces relief et ces mauvais chemins, on a bien besoin de se réconforter. On traverse Reyes et ses immeubles en béton à moitié vides. La petite route avance bien droite et bien tracée à mi montagne : ‘le balcon des Alpes’. Nous croisons des promeneurs, chose rare en Italie. Un énorme chien s’approche de moi. Son pelage est bizarrement zébré.
Je lui présente mes mains en gage de paix. Il me flaire, se dresse sur son arrière train et pose ses pattes de devant sur mes bras. Sa gueule est à la hauteur de la mienne, il me scrute d’un regard étrange. Va t-il me lécher? Sa patronne intervient : il a senti que j’aimais bien les chiens (!). Celui-ci est mi chien mi loup, peutêtre est-ce mon amour du loup qu’il a reconnu? Une fois de plus, notre route se solde en mauvais chemin. Nous passons devant des fermes complètement isolées, construites dans des sites magnifiques. Étant inaccessibles en voitures, elles sont abandonnées. Je demande à Mauro de décrire la maison de ses rêves. Pour lui la maison ne compte pas, ce qui compte c’est la personne avec qui il l’habitera. Cet homme est sage! Nous descendons vers la vallée, par un sentier défoncé (!). Mirella tombe plusieurs fois, malgré ses cannes, et nos jambes sont en tiges de pâquerettes! Mais la conversation battant son plein, parmi les lavandes et les vols de papillons, on passe cette nouvelle difficulté avec bonne humeur. De l’autre côté du torrent c’est Exilles. Nous tombons sous le charme de cette petite ville animée, blottie entre la montagne et la rivière. Les maisons trapues aux couleurs vives, les petites ruelles passant sous de sombres porches, l’église médiévale, le ruisseau qui court au milieu de la chaussée, les sculptures naïves sur les murs de la chapelle, l’énorme forteresse construite pour protéger la vallée des ennemis…Exilles a un charme fou! Le gite municipal abrite ce soir les responsables Italiens de la J.O.C. Un chapiteau est dressé dans la cours. Nous demandons à tous hasard, s’il y a encore de la place pour nous. Maria nous accueille : justement il reste une chambre avec… 6 lits! Elle nous conseille d’aller à la douche avant que les Jocistes n’arrivent. Puis elle nous propose de nous préparer le dîner pour un prix modique! Sacrée Maria! Une fois débarrassés de nos sacs et de notre sueur, nous sommes déjà beaucoup mieux. Nous faisons honneur au repas, délicieux et abondant. Le vin, le pain, la soupe, les pâtes et …la viande! Depuis notre départ de Pontremoli, c’est la deuxième fois qu’on en mange, et, mon Dieu que ça fait du bien! Ce soir, pour clore le meeting, place à la danse. Le deejay pousse les décibels, mais moi ça ne m’empêche nullement de dormir!
Dimanche 1 août 2010 – 54° jour Exilles
Cesana Torinese – 24 km Carte
Pour le petit déjeuner, Maria nous apporte des corbeilles de pain parfumé, qu’elle réapprovisionne au fur et à mesure qu’on les vide. Le beurre, la confiture, le café, thé…. Qu’elle est belle la vie!
Une fois repus, nous allons dans une minuscule chapelle, en compagnie des prêtres et religieuses de la J.O.C. pour dire l’office des Laudes. Puis nous repartons par la grand route. Les dimanches matins, la nationale se transforme en rallye. Les motards nous doublent, fonçant dans les virages. Nous on marche en faisant bien attention. Cette route n’a pas le même charme que la montagne des hauteurs, surtout quand elle longe l’autoroute, mais au moins on avance sans escalader les obstacles. Une petite voiture freine. C’est Vincenzo! Il avait accompagné les autres le jour de la séparation. Il est agriculteur et guide. Il nous donne rendez-vous à Salbertran. Grand, calme et mince, Vicenzo est toujours accompagné par son vieux chien. « Il m’a choisi et m’a suivi. Depuis nous vivons ensembles. » À Salbertran, nous admirons les fresques de l’église. À l’extérieur, les vices et les vertus, à l’intérieur, une danse macabre. Au bar autour d’une table nous faisons plus ample connaissance avec Vincenzo. Tous ensembles, nous reprenons la via dei Franchi. Quelle plaie! Mais la beauté du paysage et le bon état du chemin me réconcilie avec cette via. Bien tracée, en terre battue (ce qui est reposant pour les pieds), elle s’élève au dessus de la rivière à travers une forêt de pins sylvestres. On aperçoit un lac d’un bleu merveilleux. Le soleil, le rouge des troncs d’arbres, l’odeur des pins… Le val de Suza ressemble à la Corse. À Oulx, le marché traverse toute la ville. Vincenzo ne cesse de saluer des copains. Mirella achète un bracelet de clochettes censé attirer l’attention des anges, selon le boniment de la marchande, experte en ‘angélisme’… On déjeune sur la grande place. Moment immortalisé par une photo : nous tous en compagnie du paisible Vincenzo et de son chien.
La frontière n’est plus qu’à une vingtaine de kilomètres! Desirè accélère le pas. Elle n’a jamais été en France et ça lui donne des ailes. Nous marchons à nouveau le long de la nationale. Les motards rentrent chez eux à grand bruit. Le soleil tape bien. Pour se distraire, on médite la lecture du jour ; l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités…tout est vanité! ». Devant nous s’élève la silhouette du Chaberton à plus de 3000 mètres d’altitude. La construction de cette forteresse a nécessité un travail colossal : tailler une route, raser le sommet, installer 36 batteries, tout ça pour pouvoir torpiller Briançon. En 1910, le « cuirassé des nuages » fait l’orgueil des militaires italiens. Sous Mussolini de nouvelles armes, encore plus puissantes sont dirigées vers la France. En juin 1940, l’armée fasciste ouvre les hostilités, les français ripostent. 3 tirs plus tard, le Chaberton n’existe plus : le dépôt de munition prend feu et explose! Tout est vanité! La fatigue commence à se faire sentir. On s’assied sur un mur, près d’une maison. Un homme nous propose d’entrer dans son jardin pour boire de l’eau fraîche. Assis sur l’herbe nous discutons avec toute la famille, même le chien vient nous saluer. Pendant que nous sommes là, dans ce petit coin de paradis, une cinquantaine d’enfants, de 10 à 15 ans, mal chaussés, mal équipés avec leurs bagages lourds et encombrants, marchent sur la nationale, accompagnés par quelques animateurs. Ils vont jusqu’à Oulx! Il nous reste encore quelques kilomètres avant Cesana Torinese. On arrive aux pieds de l’église pour la messe dominicale. L’assemblée est nombreuse et l’homélie interminable. Après la messe, le curé nous accueille avec gentillesse. Il nous ouvre une salle jouxtant l’église, une très ancienne chapelle aujourd’hui transformée en salle de réunion. Un grand tableau de saint Michel est accroché au mur en face de la porte! Pour les wc, le prêtre nous suggère de faire comme toto et d’aller derrière l’église, quant au bain, il y a bien une fontaine dans la rue mais il conseille le cimetière nettement plus calme. Pendant que les autres achètent de quoi dîner, nous nous lavons Desirè et moi, au milieu des tombes. Une femme arrive avec sa petite fille. En nous voyant en petite tenue, elles détalent. Tiziana a acheté un poulet rôti! Pendant le dîner, Mauro et Manou évoquent longuement leurs camps passés ensembles et toutes ces années d’amitié. Desirè et moi nous fumons notre petite clope vespérale sur les marches de l’église. Le col est devant nous, et de l’autre côté, la France! Nous nous couchons au pied de saint Michel. Pendant la nuit la pluie crépite contre les vitres.
Lundi 2 août 2010 – 55° jour
Cesana Torinese – Briançon – 17 km Carte
À l’aube, le ciel est dégagé! Nous n’aurons donc pas une goutte de pluie entre Pontremoli et Briançon! Après le petit déjeuner nous traversons Cesana. La vieille ville s’étire de part et d’autre du pont. Pour l’instant tout le monde dort. Nous longeons la nationale jusqu’à un chemin parfaitement bien aménagé, qui évite les lacets de la grande route. Des ponts suspendus traversent une gorge profonde, certains s’amusent à s’y balancer au dessus du vide. On arrive rapidement à Clavière : dernière ville italienne, dernier cappuccino dans un bar animé, derniers morceaux de pizza. Nous entrons dans l’église de 1961 : « Notre Dame des anges ». La couleur du bois – murs, parquet, bancs – ainsi que la grande peinture à dominante dorée rendent l’atmosphère chaleureuse et paisible. Un article de journal épinglé au mur parle de la « Route de l’ange ».
On y joint notre carte de visite.
Attention, la France est à quelques mètres! L’excitation joyeuse du groupe attire des curieux aux fenêtres. Nous tournons un petit film : ‘le passage de la frontière’. Les airs ‘parisiens’ que se donne Desirè, avec son chapeau, ses lunettes noires et sa démarche chaloupée nous font bien rire.
On emprunte le chemin de randonnée (G.R. 5 ), sentier parfaitement entretenu, aux balises évidentes, avec de nombreux promeneurs, des enfants. Tout le monde se salue …en français! En un quart d’heure tout à changé! Je suis étonnée de l’effet d’une frontière, qui n’est finalement qu’une ligne imaginaire. Nous arrivons à Montgenèvre. Cette station de ski est hérissée de grues, donnant à la ville un air de chantier géant. Tiziana reçoit un coup de téléphone de son mari. Il est à son travail à Sienne. Depuis Turin il nous suit sur google map, en fidèle pèlerin virtuel. Là, il nous voit passer grâce à la weeb cam du syndicat d’initiative! La vieille ville ressemble à ses voisines italiennes avec sa longue rue colorée qui s’étire le long de la route de Rome et le solide clocher roman de son église. Mais sa musique est différente. Je suis partagée : contente d’être ‘chez moi’, mais triste de quitter l’Italie, sa langue magnifique, la simplicité et la bonne humeur de ses habitants. Mais puisque nous continuons à parler italien entre-nous, le changement n’est pas trop brutal. Nous descendons à travers la forêt : Couleurs, fleurs, odeurs… Quelques forteresses massives sont visibles de chaque côté de la vallée. Plus on approche de Briançon, plus cette présence militaire devient dense.
La plupart ont été construites sous Vauban vers 1700. On pénètre dans la ville classée par l’unesco. Nous fêtons notre arrivée devant un panaché. Une marée de touristes va et vient dans la grande rue, pleine de magasins de souvenirs, restaurants, bars. On n’est plus habitués à tant d’agitation! On va à la collégiale pour trouver un moyen de rencontrer le curé. En France, ils sont beaucoup moins nombreux et donc moins disponibles qu’en Italie. Nous notons les coordonnées affichées dans l’église, laissons un message au répondeur et posons nos sacs dans un coin sombre. Quartier libre le temps du repas. Puis nous allons à l’auberge sur les remparts. Son charme suranné nous convient parfaitement! Pendant que les autres se lavent, je file à la gare acheter mon billet de train pour Paris : il me faudra retourner à Oulx! Nous partirons donc tous ensembles demain matin! Le père Corpataux me téléphone, rendez-vous dans un quart d’heure à la collégiale où il me laissera les clés de la sacristie. Les autres étant absents, je vais seule à sa rencontre. Ce petit homme vif, au regard perçant m’explique où sont les affaires. Il va bientôt partir, nommé dans une autre paroisse, nous n’aurons pas la chance de le revoir. Il me site les villages que traverse la route des pèlerins qui va au Puy-en-Velay. (que j’oublie aussi sec!) Il me présente au patron du café, de l’autre côté de la place. C’est un ami digne de confiance à qui je devrais remettre les clés après la messe. Quand tout le monde est prêt, nous célébrons l’eucharistie (l’action de grâce) dans une chapelle de cette grande église baroque. La messe est toute simple et joyeuse, mi italienne, pour les prières, mi française pour les lectures. On demande à Manou de nous chanter son Salve Regina, et encore une fois, on tombe sous le charme!
Nous terminons cette soirée devant une énorme et brûlante tartiflette. La conversation va bon train. Nous sommes heureux : nous y sommes arrivés! «Ce l’abbiamo fatta!» Merci l’Archange, et à bientôt!
P.S.
Louée sois -tu Mirella, pour ta grande gentillesse, ton écoute et la profondeur de ta recherche de Dieu, qui m’ont soutenus quand le chemin se faisait abrupt. Louée sois-tu Désirè, pour ta joie, ta légèreté, (malgré tes difficultés), et ton courage, qui m’ont éclairés quand la route s’assombrissait.
Louée sois-tu Tiziana, pour ton humour, ta ténacité et ta générosité, qui m’ont rafraîchis quand la sécheresse me serrait le coeur.
Loué sois-tu Mauro, pour ta grande sagesse, ta franchise et ta délicatesse, qui m’ont libérés quand les ronces me barraient la route.
Louée soit Gemma, pour avoir mis en valeurs, grâce à cette crise mes limites et mes faiblesses, me donnant ainsi une belle leçon d’humilité et de vérité, et me montrant de façon douloureuse combien Michel avait encore du travail avec nos démons.
Loué sois-tu Emmanuel, pour ton énergie, ta réceptivité à la vie, ton émerveillement devant la nature et ta simplicité, qui m’ont encouragés à aller, avec confiance, au delà de moi-même.
Loués êtes-vous, les saints qui nous avez accompagnés,
Colombano, Ignazio, Théodolinda, Anna, Agostino, Rita… pour nous avoir fait signe tout le long du parcourt, me dévoilant ainsi que le ciel est déjà sur terre.
Loué sois-tu, Grand Saint Michel pour ton accompagnement quotidien, plein d’humour, et pour ton sens de l’organisation, qui m’émerveillent et me rassurent.
Loué sois-tu mon Seigneur, de m’avoir proposé tant de surprises à accueillir et partager pendant ces 3 semaines. Elles me parlent de ta beauté, de ta joie, de ton amour, de ta patience et de ta constante présence. Aide-moi à m’y éveiller et à m’en nourrir pour devenir une petite chrétienne, = porteuse de Dieu = “comme Dieu”.
(Après tout, c’est ce que nous propose Michel dont le nom veut dire “qui est comme Dieu?”)