AIGUILHE à EVAUX-LES-BAINS
Cahier de route de l’étape : Aiguilhe près de Le Puy en
Velay – Evaux les Bains écrit par Pascale
Dimanche 1 mai 2011 – 69° jour
Aiguilhe – Saint Jean de Nay – 23 km – carte:
La cathédrale est pleine, pourtant il n’est que 7h; les pèlerins (reconnaissables à leurs gros godillots) assistent à la messe avant de prendre la route pour Saint Jacques de Compostelle. À la fin de la messe, le prêtre nous invite autour de la statue de St Jacques. Il présente les groupes, bénit chacun et tout le monde puis ouvre la porte à deux battants : Ultreïa : les pèlerins dévalent le monumental escalier inondé de soleil.
Emmanuel, Mirella, Louis (qui nous avait hébergés dans la Drôme), Valter (nouveau dans l’équipe) et moi, petitdéjeunons à Aighuile dans la maison de Pierre et Michèle. Les fenêtres donnent sur le rocher coiffé de la chapelle saint Michel; on ne pouvait pas être mieux logés! La veille on a retrouvé toute l’équipe municipale autour d’un banquet joyeux et amical. On a rendezvous avec eux là-haut.
Là, réunis autour de l’autel, nous confions notre route, ces amitiés naissantes et nos projets à l’Archange. On demande à Sébastien, gardien du lieu, de nous bénir pour le pèlerinage. Puis le groupe s’installe devant la façade ensoleillée pour les photos-souvenirs d’usage. Une fois descendus, une journaliste nous pose quelques questions, prend d’autres photos et nous voilà partis, guidés et accompagnés par nos hôtes, dont deux chiens bruyamment jaloux l’un de l’autre. Nous traversons l’habitat pavillonnaire du bourg à travers un chemin tout en côtes. Il fait déjà chaud. Là haut, c’est la campagne. On longe Cheyrac aux maisons fortifiées, puis Poligniac, village dominé par son château bâtit sur un vaste podium volcanique. Jean Claude et Michel, qui connaissent parfaitement la région, (son histoire, sa géologie, son économie…) nous racontent toutes sortes de choses passionnantes. Nous nous installons au bar en attendant la fin de la messe dominicale car il y a dans l’église une fresque que nous voulons voir : Saint Michel pesant les âmes des défunts.
À la sortie du village, le sentier longe une vallée au dessus du chemin de fer. Les orgues balsamiques couleur de rouille, surgissant de la forêt, ressemblent à une muraille infranchissable. Aux Estrées, nous nous désaltérons à la source d’eau ferrugineuse: c’est un des charmes de ce pays volcanique. Il est temps pour nos hôtes de partir et pour nous de piqueniquer au bord de la rivière à l’ombre.
Nous reprenons la route, suivant leurs indications: un pont d’arbres au dessus du cour d’eau, une longue côte sous les arbres, un chemin fleuri. Nous traversons le village de Chazelles construit au bord d’une faille vertigineuse : au fond, le château Saint Vidal. Des grilles empêchent le marcheur distrait de faire le grand saut fatal. Nous débouchons dans un immense ancien cratère, plat, bordés de volcans, que nous traversons jusqu’à Loudes. Il fait chaud et un verre serait le bienvenu, mais tout est fermé ici. Un bricoleur au grand cœur me donne une bouteille d’eau glacée que nous buvons devant l’église. Repos : sieste, correspondance, visite de l’église.
À la sortie de Loudes, après la maison de retraite et le cimetière, nous remontons le Céreix par un large chemin ombragé jusqu’au hameau du même nom qui s’étire le long de la route. Yvonne et Adrien prennent le frais dans leur jardin. Ils ont 160 ans à eux deux et sont d’une vivacité et d’une verdeur qui nous émerveille. Il était maçon et a enjolivé la façade de sa maison avec de belles pierres sculptées, récupérée dans les ruines du château. Ils nous conseillent d’aller voir un peu plus loin Marie-Louise, leur amie. Peut-être saura-telle où nous loger.
Nous entrons à Saint Jean de Nay, une jeune agricultrice à la démarche décidée nous propose de nous emmener chez le curé. En longeant l’église je reconnais un vitrail avec saint Michel : nous sommes entre de bonnes mains. Elle nous présente le père Félix. Celui-ci est bien embarrassé ; le maire est absent (festivités du premier mai oblige), c’est lui qui a la clé du lieu le plus accueillant pour nous : le vestiaire du stade. En attendant on fait la connaissance de Marie Louise, nonagénaire vive et pleine d’humour. Félix nous fait visiter son église (un vrai frigo). C’était bien saint Michel sur le vitrail, encourageant Jeanne d’Arc. Félix nous propose de dormir sous la tour lanterne. Pourquoi pas, mais il commence à faire bien frais en ces altitudes. Il nous présente son potager. De temps en temps il téléphone au maire : personne. Il nous raconte son séminaire d’avant le concile où il faisait le mur pour jouer au foot. Il s’est installé à saint Jean depuis peu où il savoure sa semi-retraite bien méritée à 80 ans. Il nous confie que la grande aventure de sa vie a été le concile et la J.A.C (jeunes agriculteurs chrétiens). Beaucoup d’entre-eux ont pris des responsabilités économiques ou politiques, et il se réjouit de constater que les semailles chrétiennes de leur jeunesse portent encore du fruit. Le maire est enfin de retour. Non seulement il accepte de nous ouvrir le vestiaire, mais il arrive avec sa femme pour nous offrir le “verre de l’amitié” dans la grande salle des fêtes. Ici 20 associations se réussissent, notamment des musiciens dont la renommée dépasse le département. Il a pour projet d’ouvrir une épicerie- bar, ce qui maintiendrait la vie à saint Jean de Ney. Il nous raconte un chantier européen autour de la réfection du four à pain, et la joie des villageois lors du passage de ces jeunes venus d’Europe de l’Est et d’ailleurs.
Puis il nous ouvre le vestiaire près du stade, et allume le chauffage (ce qu’on apprécie vraiment car il fait froid : on est à environ 1000m d’altitude).
Après le repas, Louis nous confie d’un air malicieux qu’à son âge il a besoin de quelques médicaments pour dormir, et il sort de sa besace une fiole de Chartreuse et quelques sucres…Sacré Louis.
Lundi 2 mai 2011 – 70° jour
Saint Jean de Nay – Paulhaguet – 30 km – carte
Comme convenu avec Félix, nous nous retrouvons de bon matin à l’église pour la messe : prier le Seigneur avec lui, prendre des forces. Félix nous offre le petit déjeuner et nous accompagne jusqu’à la route de saint Romain. On se quitte ravis de cette rencontre providentiellement michaëlique. Nous montons doucement par une voie forestière, passons devant l’ancien prieuré saint Romain (qui ne ressemble plus du tout à un prieuré) et arrivons sur les hauteurs, la vue est magnifique. Des fermes massives s’égrainent le long de la route, j’y poste mes cartes postales dans une boîte à lettres rongée par la rouille. Nous arrivons à Les Granges: quelques bâtisses autour d’une vaste fontaine, des chemins creux taillés dans la colline, un chien errant, une cloche sans battant vestige d’un passé disparu, des vaches douces et curieuses paissant au milieu des roches. Ce hameau a un charme fou. Des chemins tapissés de fleurs printanières descendent doucement vers Vacheresse, Plancheresse. On y rencontre plus de vaches que de Chrétiens (dixit Manou). Nous savons qu’à Siaugues saint Romain, le camion du boulanger passe dans la matinée : pas question de le manquer! Ici il y a très peu de commerces et le pèlerin mange! Arrivés en ville on entend son klaxon! Une fois parés, nous visitons l’église dotée de vitraux modernes, bien tenue, accueillante. Puis nous entrons “à la maison “, un bar restaurant tranquille et accueillant pour faire une pause. Nous bavardons désormais en français ; Valter le parle avec raffinement et Mirella se lance courageusement dans cette aventure linguistique.
À la sortie du bourg, nous découvrons nos premiers champs de lentilles, fierté locale. Nous longeons un torrent qui serpente dans une gorge, traversons un vieux pont et arrivons à Vissac, petit village piqueté de pâquerettes. Nous nous étalons devant l’église sur l’herbe douce pour le repas. Louis sort de son cabas de délicieuses cochonnailles de la Drôme. Puis sieste, visite de saint Julien : église ornée de fresques et de marques en forme de croix gravées dans la pierre. Pas de bar pour le café : le Vissac d’aujourd’hui est assez moribond, comme les villages voisins. Sur les façades des grandes maisons de la place on peut encore déchiffrer les enseignes des boutiques, fermées depuis longtemps.
Après Vissac nous continuons de descendre à travers bois, à travers champs, à travers fleurs. À Roussac un jeune apiculteur repeint ses ruches en bleu. Son voisin a clouées une cinquantaine de pattes de sanglier sur la porte de la grange. Elles sèchent au soleil.
À Saint Georges d’Aurac, on retrouve la civilisation : boutiques, bars, trafics, bruits : la RN 102 permet au village de rester vivant. On boit un pot dans un bar devant les “feux de l’amour”. Quelle plaie ces télés dans les bars! Nous retrouvons avec plaisir les petites voies tranquilles, bordées de grands arbres et de fleurs, serpentant près de la rivière. Nous traversons la Senouire et entrons dans la ville de Paulhaguet. Au centre, une grande place avec ses commerces et son église, là quelques affichettes et des numéros de téléphone (inaccessibles). On se renseigne à la seule boutique ouverte : l’alléchante maison de la presse. Le vendeur nous conseille de demander à l’ancienne école des frères, derrière l’église. On frappe; dégringolade d’escalier : un homme nous ouvre, c’est le père Pierre. Bien sûr qu’on peut dormir! Il vit seul ici. L’école ne fonctionne plus, alors il y a le choix parmi les classes et les douches sont nombreuses bien que froides. Il nous reçoit dans son studio aménagé à l’étage et signe nos crédentiales. C’est un homme cultivé connaissant très bien son terroir, comme le père Félix. Il nous parle de saint Julien et saint Féréol, deux soldats romains assassinés parce que Chrétiens. Sur le lieu du martyr on a construit une église : la basilique saint Julien de Brioude. Il nous prête des livres d’art et se propose de tout préparer pour la messe de demain dans la petite chapelle de l’école. À 20H30. Nous errons dans les rues désertes de la ville à la recherche d’une quelconque pitance. L’ivrogne de service nous confirme que tout est fermé, même les bars. Lui se console sur un banc avec sa bière en canette. Alors nous installons des bancs dans la cours de l’école et sortons tout ce qu’il reste de comestible de nos sacs; et finalement le dîner s’avère copieux, voir festif grâce à la Chartreuse de Louis.
Mardi 3 mai 2011 – 71° jour
Paulhaguet – Cohade – 30 km – carte
La messe célébrée nous prenons nos sacs et arpentons la ville à la recherche d’un bar pour le café. On devra se satisfaire d’un croissant à la boulangerie, tous les commerces étant fermés et pour la plupart définitivement. Nous sortons de Paulhaguet en passant devant des dizaines de vitrines désertées. Tristes vestiges d’une activité révolue : la vie dans ces bourgs n’en est que plus difficile et solitaire, surtout pour les personnes vieillissantes.
Nous marchons d’un bon pas entre rivière et rails sous le ciel gris. Les vaches, ici sont curieuses ; quand elles nous entendent, elles meuglent et courent à notre rencontre, puis s’immobilisent et nous regardent passer. Farouches, elles se dérobent à la main pèlerine qui tente de les caresser. L’écho de leurs cris raisonne dans la vallée longtemps après notre passage.
Bâtit au dessus d’une boucle de la Senuire, le château fort de Domeyrat veille sur l’étroite vallée. Ses tours massives et sombres se découpent dans le ciel. Plus loin, nous rencontrons un homme qui fend du bois. Il est en grande conversation avec Louis et nous apprend des choses très intéressantes sur le bois des charpentes, les astuces des anciens…On le quitte à regret. Les narcisses sauvages tapissent les bords de la rivière qui s’élargit jusqu’à Lavaudieu, un des “plus beaux villages de France”. Passé le pont de pierre et un dédale de ruelles étroites, on arrive devant l’abbaye romane Saint André. Tout le plafond de l’église est peint de fresques, pour le reste on ne sait pas. Le mardi c’est fermé : le cloitre du XIeme, les fresques médiévales du réfectoire, les bars de la ville et tout le reste, ça sera pour une autre fois. Nous croisons quelques rares touristes et une vache.
À présent la Senuire coule au fond d’une gorge rocheuse. Nous la quittons pour nous diriger vers Vieille-Brioude. Les cartes de nos amis d’Aiguilhe ne tiennent pas compte du nouveau tracé de la RN 102, infranchissable ici avec ses 4 voies et ses hauts grillages. Il se met à pleuvoir. Nous trouvons une sorte de sentier qui se dirige dans la bonne direction, les chiens semblent l’emprunter régulièrement. Nous y marchons en surplomb de l’Allier à travers des fleurs géantes. Saupoudrés de pétales blanches on se prend pour Indiana Jones, franchissant des petits ponts, passant entre 2 roches. Cet ancien aqueduc enjambe la rivière pour ravitailler Vieille Brioude par un pont très branlant. Nous restons sur la rive opposée et taillant notre chemin dans la végétation luxuriante à coup de bâton et de parapluie, on retrouve la route, le pont, la civilisation.
La statue d’un saint débonnaire, une serpette, deux grappes de vigne en mains et son chien à ses pieds, nous accueille à l’entrée de la ville : Vincent le saintpatron des vignerons. Sur la commune entre 1860 et 1900 il y avait 460 hectares de vignobles. Aujourd’hui à cause du phylloxéra, de la guerre de 1914 et de l’exode rural, cette activité à complètement disparue. (musée de la vigne : http://www.ideoguide.com/controler.php? action=detail-loisir&id=46833)
Nous traversons la ville qui fut prospère et jolie. Le restaurant “les glycines” est ouvert!!! Eléanor ne semble pas étonnée de notre aspect d’hommes des bois. Elle nous invite à table. C’est notre dernier repas avec Louis qui doit retourner chez lui. Nous mangeons copieusement une nourriture simple, bonne et chaude, arrosée du vin que Louis nous offre. Dehors, il pleut. Eléanor a remarqué un “prions en église” sur notre table. Elle vient des Philippines et nous confie son souhait de se rendre à Lourdes avec sa paroisse.
À la sortie du restaurant, le soleil est de retour. Nous nous quittons Louis et Eléanor. L’un va faire du stop, l’autre ranger la salle et nous, marcher jusqu’à Brioude par de calmes petites routes.
Nous arrivons sur le lieu du martyr de Julien, la basilique du XI XIIème, fleuron des églises romanes auvergnates. Nos amis d’Aiguilhe nous ont recommandé de visiter la chapelle haute dédiée à notre Archange. Moi je voulais voir le Christ lépreux, prenant sur lui les maux du monde en général, et ceux des malades des léproseries voisines en particulier. Nous sommes émerveillés : la lumière entre à flot grâce aux vitraux lumineux et vigoureux de l’artiste dominicain Kim En Joong. Elle caresse le pavage, mosaïque de galets noirs et blancs, les chapiteaux, les fresques. De la chapelle haute, la vue est magnifique. Là, les anges sont peins partout autour d’un majestueux tétramorphe. Dans l’intimité de la crypte sombre luit l’icône dorée de saint Julien.
Un chocolat chaud avalé, les courses faites, le gîte d’étape réservé, nous reprenons la route. La plaine semble interminable entre Brioude et Cohade, mais savoir qu’une chambre nous attend nous donne du courage. Pierre et Roseline Curadet nous accueillent chaleureusement. Des dentelières amatrices partagent notre gîte. Nous sommes trop fatigués pour prolonger la soirée avec elles.
Mercredi 4 mai 2011 – 72° jour
Cohade – Issoire – 38 km – carte
Pierre nous a recommandé un chemin entre route et fleuve. La brume enveloppe le paysage avec douceur. On aperçoit de vieilles tours émerger des collines. De grands oiseaux planent au dessus de l’Allier.
Nous le franchissons à Lugeac pour aller à Auzon que nos amis d’Aiguilhe nous recommandent chaudement de visiter. Nous franchissons la porte de la vieille ville et montons jusqu’à l’église saint Laurent. En attendant Catherine et les clés, nous admirons des chapiteaux : Noël et Daniel réconforté par des anges dans la fosse aux lions. Cette collégiale du XIIème recèle une quantité incroyable d’œuvres majeures. Auzon était une ville royale fortifiée, jouissant de droits exceptionnels pour l’époque. Elle a échappé aux guerres de religions, aux affrontements entre princes locaux, aux épidémies de toute sorte (grâce à sa situation imprenable et ses fortifications). Son vin longtemps préféré de la cour était acheminé à Paris par des barcasses. Là, tout y était vendu : le vin et les barques comme bois de chauffage. Les convoyeurs rentraient à pied, pratique habituelle pour l’époque. Auzon avait une école d’art dont le style s’est largement répandu. Le Christ roman en bois atteste de la maîtrise de ces artistes. Des fresques ont été réalisées par des peintres du palais des papes d’Avignon pour (notamment) des mariages princiers célébrés ici. Nous montons dans la chapelle saint Michel dont tous les murs sont peints. Face à nous, le dragon (signifiant le mal) agonise, transpercé par la main sûre de l’Archange, de nombreux anges tourbillonnants l’assistent. Près de la fenêtre l’Archange paisible et presque souriant porte respectueusement sa lettre de mission dans un linge. Nous redescendons : Saint Vincent, ici coiffé d’un large chapeau, veille sur les viticulteurs. S’ils n’étaient pas contents des vendanges, ils le tournaient contre le mur, ou le décoiffaient…Faut bien se défouler! Toujours est-il qu’il n’y a plus de vigne ici…Je doute que Vincent se soit vengé.
Catherine, passionnée et passionnante nous invite à découvrir toutes les autres merveilles de la vieille ville, mais nous n’en avons pas le temps : à midi l’unique boutique ferme et le pèlerin doit aussi alimenter son estomac. Pendant que les 3 autres foncent faire les courses, je remercie Catherine. Je la pense professeur : erreur, elle était cinéaste à Paris. Elle s’est installée ici conquise par ce patrimoine qu’elle désire faire connaître. Plus bas, j’achète quelques cartes postales, Gisèle Pascal me touche par sa gentillesse. Elle aime sa ville, mais aussi ceux qui passent comme cette femme qui allait vers saint Jacques, avec qui elle a correspondu longtemps.
Nous prenons un café dans un bar délicieusement aménagé chez des anglais et repartons par la tranquille route des mineurs. (Il y avait pas mal de mines dans la région. Notamment à Auzon, de l’arsenic et du charbon.) Quelques kilomètres plus loin, nous arrivons à Jumeaux où nous mangeons “au Bravard”. La propriétaire est habituée aux pèlerins qui font souvent étape chez elle entre Issoire et Brioude, nous sommes sur le chemin de saint Jacques.
Poursuivant la petite route, nous arrivons à Auzat-laCombelle, puis au sault-du-loup où l’Alagnon se jette dans l’Allier. Une vielle tour croule au dessus du village. Des plages de galets invitent les éventuels baigneurs, un paysan conduit son troupeau de vaches à l’étable. De l’autre côté du fleuve, le puits d’une mine abandonnée rouille. Rien de menaçant au sault-du-loup! On continue sur le goudron, la route à beau être calme, les pieds chauffent. On commence à apercevoir très loin au delà d’une mer de champs verts tendre, Issoire. Parfois l’itinéraire de Manou casse la monotonie, un château, un chemin de terre. Pas après pas on avance ; le pèlerin prie avec ses pieds! À Orsonette, on recharge nos accus en silence près de la petite église romane écrasée de soleil. Plus loin, on traverse un bois où se sont installés des gitans, leurs crottes matinales ponctuent le chemin. Emmanuel propose de faire une dernière pause à Parentignat où nous prendrons un joli sentier jusqu’à Issoire. Nous arrivons devant le “petit Versailles Auvergnat”, château du XVII XVIIIème de Parentignat. Sobre et élégant, doré par les rayons du soir, mis en valeurs par une immense allée d’arbres, nous sommes bien surpris de trouver là un si imposant château. Au bout de l’allée cavalière, notre petit sentier…c’était avant l’aménagement de la route! Après s’être escrimés à massacrer des buissons de ronces, nous nous retrouvons sur la D 996: le trafic automobile nous saoule, mais pas moyen de faire autrement, il y a trop de rivières à franchir. Nous empruntons un pont: l’Allier est devenu un fleuve adulte, puis nous buttons sur l’autoroute! Emmanuel trouve un passage sous l’A 75, enfin des petits chemins, puis les faubourgs d’Issoire, et nous voilà au pied de saint Austremoine, église romane de toute beauté!
Ce soir: hôtel restaurant pour fêter ces 40 bons kilomètres! Il y a une chambre libre pour 4 à l’hôtel du relais avec vue sur l’église. La salle de restaurant a un charme suranné qui me plait. La nourriture simple et abondante et le vin achèvent de nous réconforter. La conversation est animée grâce à Valter, globe-trotter de longue date, qui nous raconte ses voyages.
Jeudi 5 mai 2011 – 73° jour
Issoire – Saint Nectaire – 30 km – carte
C’est fou comme le sommeil est réparateur. On se réveille les jambes légères et les pieds fonctionnels. Nous entrons dans saint Austremoine (premier évêque de Clermont, évangélisateur de l’Auvergne) et posons nos sacs. Des personnes s’affairent, la messe est imminente : bonne aubaine pour le pèlerin! Une fois les forces prises, nous visitons cette majestueuse église. Les peintures polychromes du XIXème sont discutables, mais les chapiteaux magnifiques! Toute la Passion et la Résurrection sont représentées autour du chœur. Nous nous promenons longuement dans l’église, savourant les jeux de lumière et de couleurs. Sur la fresque du jugement dernier, peinte le mur de la pièce consacrée à la vente de cartes postales, on reconnait saint Michel annihilant le mal. Ces découvertes (ses clins d’œil ?) nous réjouissent. Nous nous promenons dans Issoire, ville vivante et agréable. La sortie de la ville est nettement plus agréable que l’entrée de la veille. Nous remontons une large vallée où paissent des chevaux. À en croire les panneaux le long de la rivière, les truites foisonnent. Nous rencontrons Marc sur son tracteur hyper sophistiqué. Il s’apprête à labourer son champ et à le traiter contre les mauvaises herbes. Tout en réglant sa machine, il nous parle des récoltes, des vignobles qui reprennent avec brio ça et là, de l’habitat troglodyte…On aurait pu rester l’écouter des heures, mais chacun a son travail à faire. À Meilhaud, un lama broute l’herbe d’un jardin, mondialisation oblige. Après s’être un peu perdus dans le village on trouve un beau chemin qui nous mène à saint Cirgues-sur-Couze. Un calvaire en pierre ciselée se dresse à la croisée des rues. Le château passablement décati attend des jours meilleurs. Emmanuel nous suggère de faire la pause à saint Vincent, le village suivant. Il est construit autour de la forteresse, dissimulée par les maisons. Il est midi, les sons s’échappent des cuisines, l’activité est ralentie. Miracle, un bar ouvert ici dans ce si petit village! La barman, une quinquagénaire lourdement fardée nous accueille fraîchement : elle va bientôt fermer. Petit à petit elle s’apprivoise. Elle est habituée à une clientèle exclusivement masculine, parfois violente, aussi notre venue la surprend. Nous commandons des sodas bien frais en mangeant nos sandwichs, pendant que ses clients, livreurs professionnels, enchaînent pastis sur pastis avant de reprendre la route. Elle nous donne plein de conseils pour éviter les vipères agressives du printemps et nous propose de l’eau fraîche pour la route. Nous saluons cette femme au grand cœur et cherchons l’ombre des platanes au bord de la rivière pour la sieste. (Je commence à apprécier cette coutume italienne). Bien reposés, nous repartons pour saint Floret. Emmanuel nous explique qu’autour de l’église, sur la colline, on peut voir une étonnante nécropole. Le sentier tracé dans un sous-bois fleuri de campanules longe la rivière et débouche sur un vieux pont, de l’autre côté le village s’étire le long de la route. Une terrasse de café à l’ombre, un moka reconstituant…tant pis pour la nécropole! Nous quittons la rivière, contournons le vieux château et grimpons. Le panorama s’élargit. Les chemins traversent des bois, longent des champs trop secs à en juger l’air soucieux des cultivateurs. Nous arrivons sur une hauteur : Clémensat, puis Reignat, deux villages trapus aux maisons serrées les unes contre les autres. Nous voulons rejoindre la D 978, qui passe juste au dessous. La carte ne propose aucun raccourcit et faire un crochet de plusieurs kilomètres ne nous enchante pas. Cinq jeunes adolescentes à la démarche décidée débouchent d’une ferme, elles ne connaissent pas d’autres chemins. Il en faut plus pour décourager Manou. Moi j’observe le relief: des falaises abruptes surplombent la vallée, ça ne va pas être facile de trouver un passage entre ces roches. On essaye!
Un près fleuri, quelques fils de fers barbelés à escalader, un troupeau de bovins femelles et mâle à maitriser (tâche impressionnante pour des citadins), encore une barrière à enjamber et on découvre un ancien chemin abandonné longeant le lit d’un torrent. À part les arbres et les branches tombés au sol, on avance avec aisance. Ce fut un beau chemin muletier, taillé dans la roche. Pour rejoindre la départementale, c’est une autre histoire! Comme elle a été considérablement élargie au fil du temps, en rognant sur la montagne, l’embranchement du chemin n’existe plus. À sa place, on se retrouve en haut d’un talus bien raide, 4 à 5 mètres au dessus de la route. Emmanuel passe le premier, il jette son sac, assure sa descente en s’accrochant à des genêts et saute élégamment d’une hauteur raisonnable. Mirella, très en confiance fait la même manœuvre, mais rate un peu sa chute et tombe lourdement. Plus de peur que de mal, elle n’a que les jambes méchamment écorchées par les ronces. Valter est très grand, ce qui facilite sa manœuvre, et grâce à Mirella je suis très prudente.
Est-ce parce qu’il est ouvert ou à cause de ces émotions? Toujours est-il qu’on s’arrête au bar du croisement pour boire un verre, avant d’enfiler les derniers kilomètres qui nous séparent de Saint Nectaire. C’est le soir, la route n’est pas trop fréquentée et il y a de l’espace sur les bas-côtés. À Saint Nectairele-bas, nous prenons une petite route qui nous amène directement dans le haut de Saint Nectaire. La vue est splendide : la majestueuse église perchée sur son socle rocheux, le village s’étirant vers la vallée, les monts tapissés de forêts. L’église lumineuse de soleil est comme un phare dans une mer de collines. Une fois encore je suis saisie par l’impact de Saint Nectaire. Le minéral et le végétal, travaillés par la main de l’homme avec un extraordinaire sens de l’harmonie, nous amène aux portes de la spiritualité.
Nous cherchons l’hôtel “Bel air” qu’Emmanuel connaît. Sylvette nous accueille comme si on arrivait à la maison. Sitôt les douches prises, nous festoyons autour d’une mémorable raclette au Saint Nectaire fondu.
Vendredi 6 mai 2011 – 74° jour
Saint Nectaire – Orcival – 22 km – carte
Nous descendons jusqu’à Saint-Nectaire-le-bas pour faire les courses et prendre un petit déjeuner. Cette partie de la ville abrite des sources thermales. Dans la ville-haute, nous pénétrons dans l’église romane, l’une des plus belles d’Auvergne. Saint Nectaire, évangélisateur et confrère d’Austremoine, s’est installé ici en 300. Au XII on a remplacé l’église primitive par celle-ci. Restaurée depuis peu et meublée avec sobriété, elle est lumineuse dans le soleil matinal. Les Chapiteaux désormais bien visibles illustrent la Passion, la Résurrection et l’Apocalypse. De nombreux anges jouent des rôles majeurs dans ces scènes. Une chapelle leur est dédiée : Michaël, Raphaël, Gabriel et quelques autres, réunis dans un vitrail. Nous sommes entre terre et ciel! En leur présence, nous confions notre journée au Seigneur.
Nous quittons la ville par un petit sentier qui s’élève au dessus du village. Premier arrêt dans la forêt au Puy de Châteauneuf, habitat troglodyte préhistorique d’où la vue est magnifique. Plus haut, après un menhir, le panorama s’élargit. Au loin quelques névés restent accrochés aux versants nord des montagnes. Les ardoises arrondies des toits de Vernet-SainteMarguerite ressemblent à des dessins d’enfants. Pendant que Mirella se repose sur un banc, nous allons à la source de la chapelle à la sortie du village, où sourd une délicieuse eau fraîche, finement pétillante. Puis nous découvrons avec étonnement un bar-restaurant clair et accueillant, au café délicieux. (On nous avait pourtant prévenu qu’il n’y avait plus rien dans les montagnes!). Nous marchons d’un bon pas sur les chemins larges et bien tracés, dans l’air frais de ces hauteurs (1000m). Nous parcourons les hauts plateaux. Le printemps est radieux. Des rivières serpentent dans les près piquetés de fleurs. Une ancienne borne
sculptée témoigne de pérégrinations ancestrales. Mareuge, puis Sauzet-le-froid. Devant l’église aux rudes pierres grises, on étale le piquenique sur un lit de pâquerettes et de pissenlits. Un chat vient nous saluer. Tout est calme, même les fontaines coulent au ralentit. On aperçoit l’enseigne d’un bar à travers les maisons. Une femme très âgée arrose les fleurs, elle nous ouvre et on se retrouve dans un décor des années 70 : comptoir en formica étincelant, banquettes de sky rouge, des fromages mûrissant dans un frigo, des photos de vaches épinglées au mur. La dame nous prépare un café pendant que nous goûtons la liqueur de gentiane locale. Il me semble que ça faisait pas mal de temps qu’elle n’ouvrait plus son bar. Sur les emballages des sucres il y a des photos. Je pioche…le Mont saint Michel; nous sommes sur le bon chemin! À la sortie du village nous découvrons la chaîne des Puys. Les paisibles vaches ruminent en regardant d’un œil indolent les dômes alignés des plus célèbres volcans d’Auvergne. À présent nous descendons : pentes douces ou dénivelés nettement plus marqués, et voilà déjà le clocher de Notre Dame d’Orcival pointant à travers les feuillages.
Cette église romane du XIIème est la troisième des cinq églises « majeures » de Basse-Auvergne qu’on a la chance de visiter. Elle a été construite pour accueillir les pèlerins qui venaient prier Notre Dame. Ici on venait lui confier les malades et les prisonniers dont on peut voir les chaînes accrochés sur les murs extérieurs en guise d’ex-voto. Une fois entrés, on est saisit par la hauteur de l’église. Le rythme des arcs, des fenêtres et des colonnes s’intensifie autour du chœur. Ainsi la lumière est graduellement plus intense autour de l’autel et Notre Dame d’Orcival, dont la hiératique statue est un pur chef d’œuvre de vierge Auvergnate.
À l’office du tourisme on nous recommande le gîte d’étape “le pont”. Une fois lavés et changés, on va au restaurant “le Touristes” en compagnie de notre cousine Marie Hélène qui habite en Auvergne. On ne s’est pas vus depuis des années, mais le courant passe très rapidement. Mirella et Valter découvrent avec plaisir qu’elle parle bien italien, ainsi tous prenons part joyeusement à la conversation.
Samedi 7 mai 2011 – 75° jour
Orcival – Pontaumur – 33 km – carte
Nous traversons Orcival et ses nombreux manoirs au toit de lauze et longeons le Sioulot. La nature explose sous le soleil printanier : fleurs multicolores, jeunes pousses verts tendre, chants du coucou. La montagne plus austère semble loin. Nous passons sous les ormes majestueux d’une allée cavalière; le château de Cordès reste invisible derrière les grilles. Des fermes longues et trapues bordent la route tracée à mi-colline. Les pignons sont souvent décorés de croix en cul de bouteilles. Comme partout dans cette région, les églises de Saint Pierre Roche et Massaguette sont ouvertes grâce au dévouement de quelques villageois. La paroisse ici comprend 10 communes, 13 églises et 4800 habitants dispersés! Nous remarquons un vitrail de saint Michel en terrifiant justicier dans l’église de saint Pierre. Parfois des enseignes sont gravées sur des façades de vieilles maisons : cabaretier, barbier…
Nous longeons une voie de chemin de fer, gravissons le vieux chemin de Monges et filons à travers bois et prairies à Gelles. On trouve de quoi se ravitailler dans ce bourg animé. On s’installe sous le porche de l’église pour le repas. Il gèle à Gelles, c’est d’ailleurs ce que nous confirme Catherine, qui une fois l’an se rend à pied avec sa paroisse à Notre Dame d’Orsival. Le bar près de l’église est tenu par un hard-rockeur sur le retour, dont la déco évoque ses heures de gloire. Deux jeunes apprentis enchaînent pastis sur pastis avant de reprendre le travail!
À la sortie du bourg, je discute avec une dame, les bras chargés de lilas mauves et parfumés. Plus loin c’est une grand mère dans son jardin: qui est-on, où va-t-on? Je leur donne le petit tract qui explique notre pèlerinage, c’est l’occasion pour elles de me raconter les gens qui passent et ceux qui restent. Avec tout ça je suis bien à la traine. Si j’hésite aux embranchements, Emmanuel me renseigne par textos. La route passe sous l’A89, traverse des hameaux tout en longueur et file plus ou moins tout droit jusqu’à Pontaumur. Comme son nom l’indique cette ville adossée au mur d’une colline s’étire de part et d’autre d’un pont sur la courbe du Sioulet. Ici il n’y a pas de gîte d’étape et le seul hôtel ouvert est trop coûteux pour nous. Valter, notre expert en finances nous fait remarquer qu’entre les hôtels et les restaurants, la caisse est bien vide. Il s’imaginait le pèlerinage plus spartiate. Sa remarque nous réveille ; ne choisit-on pas la facilité en payant pour se loger? Ne passe-t-on pas ainsi à côté de rencontres, comme par exemple celle de Louis à Seillant? Le serveur de “l’origan” nous conseille d’aller voir au camping à la sortie de la ville. Là, Tiffany achève de laver les douches. Elle est bien embarrassée car il n’y a pas de bungalows à louer, les nuits sont trop fraîches pour dormir dehors et dans les sanitaires ça perturberait les vacanciers. En attendant de trouver une solution, elle nous propose de prendre une douche chaude. Finalement madame Ollier, adjointe au maire nous propose la salle de catéchisme sous l’église dédiée (comme tout le village) à …saint Michel! Il faut juste qu’elle en parle au père Ambroise qui dit la messe dans une autre commune. Nous posons nos sacs et allons dîner à “l’origan” en attendant le feu vert. Là, le serveur avoue qu’il nous aurait bien proposé un coin à l’étage si nous n’avions rien trouvé. Coup de téléphone du père Ambroise : nous sommes pèlerins avec un prêtre parmi nous, nous serons beaucoup mieux logés dans l’ancien presbytère. Peu après il confie les clés à Emmanuel, il a organisé notre messe de demain et file à une réunion. Ces pizzas Auvergnates sont excellentes, même les Italiens en conviennent. Notre sympathique serveur en est très fier.
Nous croisons quelques alcooliques titubants, et entrons dans notre spacieux gîte : ce soir, chacun aura sa chambre! Vive saint Michel!
Dimanche 8 mai 2011 – 76° jour
Pontaumur – Vergheas – 29 km – carte
Guitte, la sacristine nous attend devant l’église. Elle nous donne aube et calice et s’en va. Madame Ollier se joint à nous pour la messe. Puis elle nous montre l’étonnant orgue, réplique parfaite de celui de Bach; grâce à lui des festivals ont lieu chaque année. Elle nous parle de la paroisse, de la formation que les fidèles suivent à Clermont ou ailleurs, de l’implication réelle des laïcs, puis elle file au monument aux morts, où son devoir d’adjointe au maire l’appelle en ce 8 mai. Quant à nous, nous prenons un petit déjeuner royal à
“l’origan” où nous retrouvons notre serveur avec plaisir. À la sortie de Pontamur la route monte et traverse le pays de Combrailles; pays d’étangs, de collines et de gorges, à cheval sur l’Auvergne et le Limousin. Nous marchons sur de larges chemins généreusement bordés de grands arbres. À notre approche, les vaches toujours aussi curieuses, courent vers nous. À Ville-aux-anges je demande un peu d’eau au café. Il est bondé : les anciens combattants prennent l’apéritif chez Suzanne. On m’interroge, où allez-vous? Par quels chemins? J’appelle Emmanuel qui affine l’itinéraire grâce à leurs conseils. Nous cherchons un endroit idéal pour le repas : à l’abri du vent, mi ombre mi soleil, suffisamment confortable pour y rester longtemps. Et c’est un petit lac au centre d’une clairière. Repas dominical de fête: spécialités Auvergnates sur de belles tranches de pain, puis nous faisons la sieste, bercés par les oiseaux et le vent.
Nous reprenons la route à travers la campagne boisée. On ne sait pas trop où on est sur notre carte pas très précise. En traversant un hameau, on entend une conversation joyeuse. Nous entrons dans le jardin pour demander le nom de ce lieu. Au bout de cinq minutes nous nous retrouvons assis autour d’un café, dégustant un fraisier en compagnie de Marie-Christine et de son mari et d’Isabelle et Didier, leurs amis. Marie Christine est une grande randonneuse, elle connait les besoins du marcheur. Elle nous offre de l’eau fraiche et des noix. Elle regrette que ce ne soit pas déjà le soir pour nous héberger. Nous aussi, mais il faut avancer. Quel dimanche!
La campagne est très peu habitée ; on rencontre quelques hameaux, des fermes isolées trop souvent abandonnées, d’élégantes maisons en pierre de taille, des digues maçonnées au bord de petits lacs. Il y a plein de retenues d’eau par ici, et plein de vaches. Le paysage me fait penser au plateau de Millevache voisin. “Millevache” signifie selon les traducteurs; mille vaches, ou mille sources. Nous suivons depuis un moment le
G.R.41, mais le parcourt est mal indiqué, trop bitumé et à l’écart des villages, or le soir tombe et il nous faut trouver un lieu pour la nuit. À Vergheas quelques élégants manoirs se serrent autour de l’église du XIIème. Les rues sont désertes. On se dirige vers l’ancienne école pour demander un coin de préau: personne. La fenêtre de Jeanine est ouverte. Elle nous suggère d’attendre le maire, absent à cause des festivités du 8 mai, ou de demander à Michel s’il veut bien nous prêter la maison qu’il vend. Sans hésiter, on frappe chez Michel : pas de problème, la maison est saine et toujours ouverte; faites comme chez vous. Il nous donne un seau d’eau chaude pour nos ablutions, et pour la lumière cette nuit, il y a le lampadaire de la rue. Jeanine se propose de nous faire une soupe. Elle raconte qu’au temps de sa jeunesse Vergheas était un bourg commerçant. Aujourd’hui tout a fermé. La maison de Michel était autrefois habitée par des italiens, ce détail nous réjouit.
Lundi 9 mai 2011 – 77° jour
Vergheas – Evaux les bains – 29 km – carte
Il est très tôt quand nous quittons Vergheas. Jeanine nous a dit qu’à Saint-Maurice-près-Pionsat on aura peut-être une chance de trouver de quoi petit-déjeuner. La route est déserte. Elle passe devant de longues fermes en pierre de taille, isolées, plus ou moins construites sur le même modèle. Plus tard les cars de ramassage scolaire viennent chercher les enfants que leur parents déposent au bord de la route. La journée est longue pour un élève en milieu rural. La silhouette de Saint-Maurice se dresse sur une hauteur et semble un bourg important et prometteur! Mais les lundis, à part l’école et la poste, tout est fermé. Nous nous reposons un instant sur la grande place au centre du village en buvant l’eau fraîche de la fontaine. À Château-sur-Cher, c’est pire ; le village n’est qu’une poignée de fermes, entourant une ancienne motte féodale sur laquelle trône l’église du XIXème. Au début de cette étape nous pensions nous rendre à Montluçon à cause de la gare qui nous permet de rentrer chez nous. Finalement mon amie Odile (pèlerine virtuelle de la première heure) vient nous chercher en voiture. On s’arrêtera donc à Évaux-les-Bains situé sur la trajectoire de notre pèlerinage. Alors qu’on s’accorde un repos bien mérité près de l’église, Emmanuel suggère qu’on dépasse Évaux-les-Bains, anticipant ainsi sur la prochaine étape. Le groupe refuse tout net! Emmanuel obtempère. Un jeune agriculteur arrive avec son tracteur et rentre chez lui, on entend sa femme lui parler, puis il retourne à ses champs. Je frappe chez la dame : elle me donne une baguette congelée, c’est tout ce qu’elle peut faire pour nous. Avec nos boîtes de thons et les noix de Marie-Christine ça ira tout à fait. Nous suivons le G.R. le long du Cher. La rivière bondit joyeusement sous la ramure au fond d’une gorge encaissée. Nous la franchissons à Pont du Rameau ; le nom est joli, mais les arbres crèvent les toits des moulins abandonnés, la friche recouvre les murs écroulés, les vitres cassées, les fers rouillés. Nous quittons ce lieu humide et glauque et gravissons la colline jusqu’au château au pied duquel nous mangeons notre simple repas. Évaux-les-Bains n’est plus qu’à une dizaine de kilomètres qui semblent interminables sous cette chaleur anormalement estivale. Quelques camions nous croisent apportant des morceaux d’éoliennes à assembler sur les hauteurs du bourg.
Depuis les Gallo-Romains, les eaux thermales d’Évauxles-Bains sont utilisées en rhumatologie, gynécologie et Phlébologie. Comme chaque ville thermale il y a un casino et c’est là qu’on échoue, assoiffés, en sueur, mais heureux d’être arrivés. C’est l’unique bar ouvert ce lundi. La musique, les lumières tamisées et le bruit incessant des machines à sous nous dépriment. Nous sortons prestement dans la vive clarté de l’après midi et entrons dans l’abbatiale romane Saint-Pierre-Saint Paul. Ici tout est calme, lumière, harmonie, paix. Nous remercions le Seigneur et Saint Michel de nous avoir menés à bon port ; 9 jours de complicités, de rencontres riches, de paysages magnifiques, de simplicité, de liberté. 9 jours qui nous ont changés.
On ne sait pas trop quoi faire ici, il est encore tôt; on décide d’aller à Montluçon. En attendant le bus, je téléphone au presbytère de Montluçon comme convenu par mail : ils nous attendent. En lisant attentivement l’horaire on découvre qu’il ne passe pas de bus avant demain. La secrétaire du presbytère me rappelle, elle s’est trompée, la salle est occupée ce soir et le curé bien embarrassé. Cette histoire de bus arrange tout le monde! Il faut croire que Saint-Michel a d’autres projets pour nous. On retourne dans l’abbatiale où sont affichés les numéros de téléphone. Une femme s’approche de nous et nous propose de nous emmener au presbytère pour nous présenter au jeune prêtre. Nicolas Sablery nous ouvre largement sa porte, il nous montre les salles disponibles. Il a encore du travail aussi on convient de se retrouver pour le dîner. Nicolas nous encourage à prendre tout ce dont nous auront besoin pour la cuisine. On va se recueillir un moment dans le petit oratoire ouvert 24 heures sur 24, qu’il a aménagé sous la maison. On lézarde au soleil dans son jardin en attendant le soir. Pendant le repas (pâtes à la carbonara de Mirella et Valter) la conversation chaleureuse va bon train. Nicolas nous raconte pourquoi lui, fils de paysan Normand, a choisi Évaux-les-Bains. Il évoque la Normandie, Caen, Lisieux et même le village d’Allex dans la Drôme. Tous ces lieux nous sont familiers! Il nous parle de la Creuse : les paysans d’ici avec leur savoir faire de bâtisseurs s’embauchaient comme maçons dans les grandes villes (Saint Etienne, Lyon, Paris…), leurs champs ne suffisant pas à nourrir leur famille. Ils rentraient à pieds pour les labours et les semailles. Entre 1850 et 1950 la moitié des Creusois sont partis pour de bon avec leur famille, vidant la campagne. Nicolas déplore l’isolement des personnes en monde rural et des trop fréquentes tragédies qui en découlent : alcoolisme, avortements, suicides. Il est responsable de la pastorale des jeunes et pour rencontrer quelques adolescents, il sillonne le département avec sa voiture. Il loue le service de tant de laïcs motivés et formés, qui font tourner les paroisses dans ce diocèse pauvres en prêtres.
Avec la détermination pleine de gentillesse, le courage, l’enthousiasme et surtout la grande foi de Nicolas, les gens d’ici ont bien de la chance.
Mardi 10 mai 2011
Montluçon
C’est à l’arrêt du bus qu’on prend congé de Nicolas. À Montluçon on se rend 8 rue de la fontaine, siège de la paroisse. Nous entrons dans un ancien palais restauré avec goût, sobre et fonctionnel. Une femme à l’étage, enregistre une émission radiophonique sur la Bible, elle prévient le père Herbach. Nous faisons connaissance avec Claude, prêtre plein d’humour et d’énergie. Il nous montre où déposer nos sacs, nous donne rendez-vous en début d’après midi et file à son travail. Après 9 jours loin du monde, nous sommes saisis par l’agitation et le trafic de la “grande ville”. Se promener sans sac à dos, quel plaisir! On visite les vieux quartiers au pied du château, les églises Saint Paul et Notre Dame, les ruelles étroites aux maisons en colombage, les portes sculptées de la muraille d’enceinte, les fontaines, le parc à la française, l’esplanade du château dominant les toits… Puis on flâne jusqu’au Cher le long du boulevard truffé de commerces. La petite rivière de la veille est ici un fleuve respectable. Bien installés à la terrasse d’un restaurant devant la sous-préfecture, nous signons des cartes postales destinées à toutes les personnes rencontrées ces derniers jours. De retour chez nous, Claude nous signale qu’il a donné des instructions pour notre messe et nous propose de passer chez-lui après. Pourquoi pas l’inviter à dîner au presbytère avant sa réunion de 20h30? Dans la chapelle de l’église Notre Dame, la sacristine a soigneusement tout préparé pour l’eucharistie de fin d’étape. Sur le mur derrière l’autel, un long tableau illustre en 7 panneaux la vie de Marie. Le donateur figure à genoux, pieusement tourné vers Notre Dame. Derrière lui…Saint Michel debout, attentif, l’encourage. À croire que notre Archange nous attendait là! Sacré Michel!
Sitôt sortis de l’église, Odile nous prévient qu’elle est garée devant la sous-préfecture. Elle a en main une bouteille de cuvée des anges! Chez Claude, grâce à sa simplicité, nous sommes aussi à l’aise qu’à la maison. Nous faisons chauffer les spécialités locales, préparons le couvert, la salade. Il propose d’y ajouter quelques herbes de son jardin qu’il hache avec dextérité en nous expliquant a travaillé dans la restauration. Devant notre étonnement il nous confie avec humour qu’il a été aussi barman à News-York, bouddhiste en Inde, moine à la Pierre-qui-vire avant de comprendre qu’il était appelé à être prêtre. La voix du Seigneur prend des chemins étonnants avant de toucher le cœur. Aujourd’hui il respire l’enthousiasme, au sens fort du terme (habité par l’Esprit). Le temps passe si vite en sa compagnie, c’est déjà l’heure de sa réunion. Nous restons encore un peu dans le jardin parfumé de roses, et une fois la cuisine rangée nous faisons un petit tour dans la vieille ville pour Odile. Elle s’est glissée avec un tel naturel dans notre groupe qu’elle est pleinement des nôtres.
Malgré l’heure tardive (23h) l’église est encore ouverte.
Odile s’émerveille de voir saint Michel sur le polyptyque. Claude arrive, en pleine forme. Il nous fait visiter toute son église et nous propose de monter sous les toits pour admirer les voutes maçonnées, et plus haut, les cloches. Quelle soirée! Nous sommes enthousiasmés (au sens fort du terme)!